Budget 2012: un catalogue à la Prévert qui alimente une austérité aveugle et massive

18
Oct
2011

Hier a débuté en séance l'examen du projet de loi de finances 2012, le dernier budget du quinquennat de Monsieur Sarkozy.

 

 

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logo-anAssemblée nationale - Deuxième séance du mardi 18 octobre 2011

Extraits du Compte rendu intégral - Projet de loi de finances pour 2012,

Motion de rejet préalable de Pierre Alain Muet

Le début de ce débat fut assez surréaliste puisqu'en vous entendant, monsieur Baroin, j'ai eu le sentiment que vous vous trompiez de rôle, ou du moins d'époque, et que vous aviez sept mois d'avance. Vous êtes encore, monsieur Baroin, le ministre de l'économie et des finances ; mais j'ai cru entendre déjà le défenseur de la motion de rejet préalable de la politique que nous conduirons si les Français nous font confiance...

Puisque vous nous y invitez, après avoir parlé de votre budget, je vous présenterai notre projet.

Quelle sera la situation en 2012 ? Quelques mots suffiront pour la décrire : explosion de la dette qui aura doublé en dix ans, explosion du chômage, explosion des inégalités, dérive abyssale du déficit extérieur, le tout dans un contexte de croissance malheureusement assez éloigné des prévisions de 1,75 % pour plutôt se rapprocher de 1,2 % si l'on en croit les instituts de conjoncture.

Explosion de la dette et du déficit, donc. Vous allez nous répondre, comme vous le faites depuis trois ans, qu'il faut s'en prendre à la crise.

Non : si la France se retrouve dans une telle situation, la crise n'en est pas la cause principale. Selon vos propres services, madame la ministre, monsieur le ministre, sur les 140 milliards de déficit de l'année 2010, seuls 40 milliards sont de nature conjoncturelle. Le reste, 100 milliards, représente un déficit structurel, soit celui que la France aurait eu si la croissance était restée forte, égale à la croissance potentielle, c'est-à-dire s'il n'y avait pas eu la crise.

Sur ces 140 milliards, 100 sont donc dus pour l'essentiel aux politiques que vous avez menées ces dix dernières années.

La dette aura doublé, passant d'un peu moins de 900 milliards à l'été 2002, à 1800 milliards à l'été 2012, toujours selon vos services. Elle aura augmenté de 350 milliards sous Jacques Chirac – il n'y avait pas de crise –, et de 550 milliards sous Nicolas Sarkozy – là, oui, la crise était là.

Déduisons de cette hausse de la dette ce qui peut être imputable à la crise. Ces trois dernières années, environ 40 milliards sont dus chaque année à la crise, soit entre 120 et 150 milliards. Il reste tout de même une aggravation de la dette de plus de 400 milliards, ce qui ne s'est jamais vu en plus de cinquante ans.

La crise n'explique donc pas la situation de notre pays. Regardez d'ailleurs chez nos voisins. Les Allemands ont eux aussi connu la crise. En 2005, la France et l'Allemagne avaient toutes deux un déficit supérieur à 3 %. Mais, alors que l'Allemagne a profité d'une période de croissance pour le ramener à zéro en 2008, à la veille de la crise, la France l'a laissé dériver, votant le paquet fiscal et un budget approchant des 3 % de déficit – pour finalement s'élever à 3,5 % en exécution.

Si la France se retrouve aujourd'hui dans une telle situation, c'est qu'elle n'a pas profité de la période de croissance qui a précédé la crise pour réduire ses déficits. Au contraire, elle les a laissés dériver.

Voilà pourquoi, quand l'Allemagne, au plus fort de la crise, affichait un déficit de 3,3 % du PIB – et cette année, sans doute 2 % –, la France atteignait les 7,5 % et se retrouve encore largement aujourd'hui au-dessus de 4 ou 5 %.

C'est votre politique qui a mis notre pays dans cet état.

S'agissant du chômage, vous allez me renvoyer de la même façon à la crise. Comparons encore avec l'Allemagne. Les deux pays avaient le même taux de chômage à la veille de la crise, à l'été 2008, soit 7,5 %. Aujourd'hui, l'Allemagne compte 6 % de chômeurs alors qu'en taux de chômage harmonisé, la France tourne autour de 10 %.

Pendant cette période, l'Allemagne a utilisé tous les instruments à sa disposition pour limiter la progression du chômage : réduction du temps de travail – 35,5 heures hebdomadaires contre 38 heures en France –, Kurzarbeit ou chômage partiel – les salariés, au plus fort de la crise, ont ainsi pu rester dans les entreprises, ce qui a permis à l'Allemagne, lorsque la croissance a repris, de redémarrer fortement avec un taux de croissance de 3 % en 2010.

Là non plus, ce n'est donc pas principalement la crise qui explique la situation. C'est la politique absurde que vous avez conduite : vous avez réussi, dans une période de crise avec un chômage massif, à maintenir une politique qui n'aurait eu de sens, et encore, que si la France avait connu le plein emploi. Autant l'on pouvait, dans les années cinquante et soixante, quand il n'y avait pratiquement pas de chômage, se poser la question de subventionner les heures supplémentaires – même si celles-ci se développaient alors naturellement, cela aurait pu avoir un sens, car la France butait à l'époque sur le plein emploi –, autant, aujourd'hui, on en est loin. Subventionner en période de chômage massif les heures supplémentaires n'a qu'un seul effet : faire croître le chômage. Ainsi, madame et monsieur les ministres, ce que vous croyez faire gagner aux salariés qui font des heures supplémentaires, vous le perdez par le nombre de salariés qui se retrouvent au chômage.

Quand on fait le bilan en termes de pouvoir d'achat, le résultat est égal à zéro, avec une croissance du pouvoir d'achat global extrêmement faible.

Telle sera la réalité de l'année 2012, et telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes malheureusement déjà dans cette situation.

S'agissant des déficits extérieurs et de leur dérive, on a tout entendu. Aussi faut-il rappeler quelques données, à commencer par le fait que nos 75 milliards d'euros de déficit sont un montant que l'on n'avait jamais connu. Il faut se rappeler que, voici dix ans, la France était en excédent. Pendant de nombreuses années, entre 1995-1996 et 2002-2003, notre pays avait entre 20 et 30 milliards d'euros d'excédent extérieur. Il en est loin aujourd'hui, et l'on sait pourquoi : cela ne tient pas à un problème de compétitivité-prix, mais, pour l'essentiel, à l'absence complète de politique industrielle, de politique d'innovation et de compétitivité – la politique que doit conduire un pays qui a le niveau de développement que nous connaissons. C'est ainsi que, faute d'avoir développé son industrie, la France se retrouve avec 75 milliards de déficit, quand son principal voisin a 150 milliards d'excédent.

Que nous proposez-vous pour faire face à cette situation ? Un budget qui est un catalogue à la Prévert, dont la seule logique est une austérité aveugle et massive.

Austérité aveugle du côté des recettes, d'abord : alors que vous disposiez de nombreux rapports pour supprimer des niches fiscales injustes et inefficaces – le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, dont nous nous sommes beaucoup inspirés pour nos amendements, ou encore celui de l'Inspection générale des finances, que vous avez commandé mais gardé sous le coude, sans doute parce que ses propositions vous embarrassaient –, vous avez non pas supprimé le nombre des niches, ce qui aurait pu réduire les déficits sans effet négatif sur la croissance, mais inventé de nouveaux impôts ! Je ne reprendrai pas l'énumération que le président de la commission des finances en a faite, mais vous êtes les champions de l'invention de nouveaux impôts,...

Mme Valérie Pécresse, ministre. On n'a rien inventé du tout !

M. Pierre-Alain Muet. ...parfois profondément choquants. Je pense en particulier à la taxe sur les mutuelles : croyez-vous que l'on puisse réduire les déficits en empêchant les plus modestes de se soigner ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Cinéma ! Sortez vos mouchoirs !

M. Pierre-Alain Muet. C'est la réalité !

Austérité aveugle du côté des dépenses, ensuite, avec des coupes dans tous les budgets, en particulier celui de l'emploi : comment peut-on, dans la situation que notre pays connaît en la matière, diminuer de 12 % le budget de l'emploi ? Et que dire de la politique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ? Non seulement la Cour des comptes a montré que, loin du milliard et demi d'euros d'économies que vous prétendiez ainsi réaliser, celles-ci n'ont été que de l'ordre de quelques centaines de millions – 200 à 300 millions, jamais plus –, mais le regretté Philippe Séguin a dit lui-même, en 2009, que c'était une politique absurde, « caractéristique d'un État incapable d'analyser ses besoins et de programmer ses effectifs ».

Cette politique, qui pèse sur l'emploi, le pouvoir d'achat et la croissance pour tenter de réduire le déficit, est une impasse. En cassant un peu plus la croissance par des plans d'austérité successifs, vous allez, de plan d'austérité en plan d'austérité, réduire les recettes tout en courant derrière la réduction des déficits sans jamais y parvenir. Tel est le cercle vicieux auquel aboutissent les politiques d'austérité. D'ailleurs, le Premier ministre ne vient-il pas, alors que le débat budgétaire s'engage, d'annoncer un nouveau plan d'austérité pour ajuster sa politique à une croissance plus faible que prévue ?

Quant au déficit budgétaire de 2011, vous le confortez dans le projet de loi de finances à un niveau identique à celui du projet de loi de finances rectificative que nous avons discuté début septembre, soit un déficit supérieur de près de 4 milliards – 3,9 milliards exactement – à celui voté en loi de finances initiale. À qui ferez-vous croire qu'il faut une règle constitutionnelle pour que les lois de finances initiales respectent une programmation fixée a priori quand toutes les dérives, comme en 2011, sont dues à une variation entre la loi de finances initiale et la loi de finances réalisée ? Pour lire toujours attentivement ses rapports, je constate d'ailleurs que notre rapporteur général fait état, dans son rapport, d'un risque élevé que la loi de règlement pour 2011 mette en évidence une nouvelle dérive des déficits.

Comme dans le projet de loi de finances que nous avons discuté l'an dernier, l'État se défausse de ses responsabilités financières sur les collectivités locales. Il le fait, comme toujours, en gelant les dotations aux collectivités et en ne finançant pas des dépenses qu'il a mises à leur charge – des dépenses de solidarité générale qui augmentent fortement.

Je le répète, ne pas indexer les dotations sur l'inflation et la croissance est profondément choquant. Elles ont en effet remplacé des impôts qui avaient une dynamique propre, correspondant à l'inflation et à la croissance. De 1997 à 2002, des gouvernements respectueux des collectivités locales continuaient, eux, lorsqu'ils réduisaient les déficits publics, à indexer les dotations sur l'inflation et sur la moitié de la croissance. En n'agissant pas ainsi, vous faites porter la réduction des déficits sur les collectivités, qui ne sont pourtant en rien concernées par la dérive des déficits et de la dette.

Dois-je rappeler dans cette enceinte que la dette des collectivités locales, soit 8 % du PIB, n'a pas bougé depuis trente ans ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général. La règle d'or !

M. Pierre-Alain Muet. Nous ne parlons pas de la même !

Celui qui est responsable de la dette, c'est l'État, avec l'explosion de la dette publique.

Nous avons donc, d'un côté, un État cigale, qui a baissé les impôts en laissant dériver les déficits pendant huit ans, et, de l'autre, des collectivités locales fourmis, bien obligées d'ajuster leurs comptes puisqu'elles ne s'endettent que pour investir.

Si la cigale et les fourmis étaient indépendantes, la première – l'État – serait bien obligée de mettre de l'ordre dans ses finances en augmentant ses impôts ou en réduisant ses dépenses. Bref, l'État ne pourrait pas se permettre de faire ce que vous avez fait pendant huit ans, c'est-à-dire laisser dériver les déficits en faisant 70 milliards d'euros de cadeaux fiscaux, financés entièrement à crédit, essentiellement aux plus fortunés de nos concitoyens. Il suffit de rapprocher les 100 milliards d'euros de déficit structurel – que je citais pour l'année 2010 – de vos 70 milliards de cadeaux fiscaux, pour comprendre d'où vient ce déficit structurel.

Je reviens à ma comparaison : contrairement à ce qui se passe dans la fable de La Fontaine, la cigale a un pouvoir considérable. Elle a progressivement remplacé les ressources des collectivités par des dotations qu'elle maîtrise, et elle leur impose des dépenses de solidarité nationale dont elle est seule à maîtriser le financement. Alors quand la cigale doit réduire ses déficits comme aujourd'hui, elle trouve une façon simple de se défausser en partie de cette responsabilité : réduire les dotations aux collectivités et ne pas ajuster les compensations aux dépenses effectives de celles-ci. Et l'État le fait avec d'autant plus de désinvolture qu'il sait bien que les collectivités locales sont obligées, elles, d'appliquer la vertu dont lui seul s'exonère.

Voilà comment aujourd'hui les collectivités locales sont conduites soit à augmenter leurs impôts soit à réduire leurs dépenses, notamment leurs dépenses d'investissement, pour financer la « débauche » de l'État ! Cette politique, c'est le vice qui se finance sur le dos de la vertu.

M. Henri Emmanuelli. Voilà qui fait plaisir à entendre ! Merci, monsieur Muet !

M. Pierre-Alain Muet. Il faut, bien sûr, réduire les déficits, et nous sommes favorables à l'objectif de ramener celui des finances publiques à 3 % du PIB en 2013, cela pour deux raisons. La première est qu'il s'agit d'un engagement de la France. Quant à la seconde, elle tient, dans la situation que nous allons connaître en 2012 – c'est-à-dire une dette égale à 86 % du PIB et une croissance comprise entre 1,2 et 1,5 % –, au calcul du seuil de déficit, soit 3 %, qui arrête l'explosion de la dette dont vous êtes responsable depuis des années et des années en la laissant croître de façon quasi illimitée. C'est pour stopper rapidement l'explosion de la dette qu'il faut revenir à 3 % de déficit.

Or, réduire les déficits, madame et monsieur les ministres, ne se fait pas par une politique d'austérité, mais par une politique macroéconomique globale. Si vous vous contentez en effet d'une politique d'austérité en coupant dans les dépenses ou en inventant de nouveaux impôts comme vous le faites, le seul résultat sera d'aggraver la récession ou le ralentissement économique, tout en courant toujours derrière la réduction des déficits.

Ce qui réduit les déficits, ce n'est pas une politique d'austérité. C'est une politique complète qui s'attaque simultanément aux trois déficits que connaît notre pays : le déficit des finances publiques, bien sûr, mais aussi le déficit d'emploi et le déficit de compétitivité. Or je n'ai rien vu dans ce budget qui s'attaque à ces deux derniers – s'agissant de l'emploi, on assiste même à une baisse de 12 % du budget qui lui est consacré. Dans la situation de notre économie, c'est profondément choquant.

Alors...

M. Henri Emmanuelli. Alors, que faire ? (Rires.)

M. Pierre-Alain Muet. C'est la vraie question ! Puisque l'on m'y invite, j'en dirai quelques mots, monsieur le ministre.

M. François Baroin, ministre. C'est une excellente question, mais j'observe qu'elle vient de la gauche...

M. Pierre-Alain Muet. Au cours du débat budgétaire, nous proposerons des amendements qui déclinent une grande partie de nos propositions. Je les regrouperai en trois thèmes.

Le premier a trait à l'emploi. Il faut d'abord mettre fin à ce dispositif absurde de subvention des heures supplémentaires, qui coûte 4,5 milliards.

En le supprimant, on peut facilement redéployer la somme correspondante pour financer, par exemple, 300 000 emplois-jeunes pour un coût de 3 milliards d'euros. Au total, on aura créé des emplois et empêché la suppression de 80 000 autres, tout en redonnant du revenu, en restaurant la confiance et en relançant la croissance. C'est de cette façon qu'en 1997 la croissance française est repartie. La situation était, certes, moins dramatique, mais je me souviens tout de même que le Président de la République avait dissous l'Assemblée parce qu'il ne savait pas comment boucler le budget et respecter le critère de 3 %.

Nous avons ramené la dette publique à 58 % du PIB alors que nous l'avions trouvée à plus de 60 %, et nous avons réduit le déficit à 1,5 % du PIB alors qu'il était à 3,5 %.

Vous pourrez consulter les statistiques – domaine dans lequel votre ministère est particulièrement bon : ces deux critères de Maastricht ont été scrupuleusement respectés pendant toute la période 1997-2002.

On ne peut pas en dire autant de la période suivante : vous avez été en déficit excessif sept années sur dix et, depuis la fin de l'année 2002, la dette de la France n'a jamais été au-dessous de 60 % du PIB.

Une deuxième série d'amendements concerne la justice fiscale.

Comment ne pas mettre en regard de la taxe que vous créez sur les hauts revenus, et qui rapportera environ 400 millions d'euros, le dernier cadeau fiscal que vous avez osé faire aux contribuables les plus riches ? Vous leur avez offert 1,8 milliard d'euros en supprimant leur ISF.

Que pèsent 3 ou 4 % de prélèvements supplémentaires sur les hauts revenus quand on sait que la combinaison des niches fiscales et des prélèvements libératoires sur les revenus du capital conduit à ce paradoxe que les détenteurs des dix plus hauts revenus du pays paient moins de 20 % de leurs revenus en impôts ?

Avec votre nouvelle mesure, madame Bettencourt va sans doute voir son taux d'imposition sur le revenu passer pendant deux ans de 15 % à 18 ou 19 %, et cela n'est même pas certain, mais que représente ce taux lorsque l'on sait qu'un cadre supérieur verse au fisc 30 % de la totalité de ses revenus, lesquels proviennent de son seul travail ?

Nous avons besoin d'une réforme fiscale majeure. Elle doit être très simple et passer au barème tous les revenus du capital. Aujourd'hui, ils y échappent, soit grâce aux niches fiscales, soit grâce au prélèvement libératoire qui s'applique tant aux plus-values qu'aux intérêts et aux dividendes.

Je me souviens du pathétique débat qui vous agitait sur la taxation des plus-values, lors d'un précédent collectif budgétaire. Certains, du côté droit de cet hémicycle, s'inquiétaient pour le salarié modeste qui aurait vendu sa résidence secondaire sans être propriétaire de sa résidence principale : il aurait dû payer 19 % de prélèvement libératoire. Mes chers collègues, pour régler ce problème éventuel, il y a une solution simple, conforme à la justice fiscale : que toutes les plus-values soient soumises au barème de l'impôt sur le revenu. Dans ce cas, si un salarié disposant de revenus modestes vend un bien, il ne paiera rien ; en revanche, celui qui a des revenus élevés paiera en fonction de ces derniers. C'est cela, la justice fiscale.

Aujourd'hui, l'impôt sur le revenu est devenu complètement régressif. Il est temps de faire une réforme fiscale profonde, pour que tous les revenus soient imposés au barème et que l'impôt dépende du montant des revenus et non de leur origine. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Une troisième série d'amendements correspond à notre volonté de relancer durablement la croissance, notamment en mettant en place une réforme fiscale qui favorisera les profits réinvestis plutôt que les produits distribués. Cela ne suffira pas, nous savons qu'il faudra aussi retrouver le volontarisme industriel que notre pays a oublié depuis dix ans, mais si nous n'agissons pas en matière d'emploi, d'innovation, de compétitivité et de justice fiscale, notre pays continuera malheureusement à voir se dégrader tous ses déficits, comme c'est le cas aujourd'hui.

Pour conclure, je veux dire un mot de la crise européenne. Il ne s'agit pas d'une nouvelle crise mais de la même crise qui revient, pour la simple raison que rien n'a été fait pour la résoudre.

Rien n'a été fait en matière de régulation financière, ou très peu, et rien n'a été fait en matière de régulation des politiques économiques. Si l'Europe est dans cette situation, c'est parce qu'elle s'enfonce dans des politiques d'austérité dont elle pourrait en partie sortir s'il y avait un minimum de coordination des politiques économiques.

Pour y parvenir, il nous faudrait retrouver un peu de l'esprit des réformes qu'insuffla Roosevelt lors de la crise des années trente. En 1933, confronté à la récession, Roosevelt a lancé le New Deal et instauré une protection sociale dans un pays qui n'en disposait pas. Il a également fait voter une forte imposition des plus hauts revenus – on oublie souvent que les revenus les plus élevés, qui n'étaient presque pas taxés, l'ont été alors à plus de 80 %, et même à 90 % au moment de l'entrée en guerre du pays. Roosevelt a enfin obtenu une séparation entre banques d'affaires et banques de dépôts, c'est-à-dire une régulation fondamentale du secteur.

Ces trois types de mesures ont structuré durant trente ans tout le développement de l'économie mondiale. La période de Bretton Woods, l'après-guerre, ce que nous appelons en France les trente glorieuses, était caractérisée par une économie financière fortement régulée, une intervention publique forte à travers la protection sociale et une fiscalité sur les hauts revenus qui permettait de réduire fortement les inégalités – tout le contraire de ce qui se fait depuis trente ans, avec la domination de l'idéologie libérale qui a conduit à démanteler tout cela.

En Europe comme ailleurs, on se trompe d'époque. Pour répondre à la crise à laquelle nous sommes confrontés, il faut retrouver de la solidarité. Nous savons parfaitement que, dans une économie mondialisée, une usine moderne bénéficiant des technologies les plus récentes peut être construite n'importe où sur la planète. Cependant, pour qu'elle fonctionne efficacement, il faut une main-d'œuvre compétente, un système d'éducation et de formation, et une protection sociale qui permette aux individus de prendre des risques. Il faut de la recherche. Il faut ce que l'on appelle de façon générale des biens publics, c'est-à-dire des infrastructures de recherche, d'éducation, de santé, de protection sociale... Cette nécessité explique peut-être que les pays les plus développés du monde soient ceux qui ont construit un secteur public performant et important. Voilà la réalité économique ! C'est elle que l'idéologie libérale a négligée durant trente ans en s'imaginant qu'avec moins d'État on rendrait l'économie plus performante. Mais vous vous trompez !

Cette erreur a conduit à la crise de l'économie mondiale. Si vous voulez la résoudre, il faut remettre de la solidarité dans le système. Il faut de la solidarité en Europe car elle manque entre les nations qui la composent, et il faut de la solidarité dans notre pays. Toute l'histoire économique démontre que la solidarité est aussi de l'efficacité économique. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. C'était comme une bouffée d'oxygène !

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