Interventions sur le budget 2008

17
Oct
2007

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 7, du règlement. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, omme vient de le dire M. le ministre, une loi de finances est un acte politique fort, qui trace les
grandes orientations de la politique économique d’un gouvernement. Si le texte que vous présentez en a l’apparence, il n’en a pas tout à fait la substance.

Tous les discours qui se sont succédé pendant ce débat m’ont donné le sentiment que ce projet de budget pour 2008 n’était pas tout à fait comme les autres. Notre collègue Cahuzac a parlé d’un budget d’intermède ; Jean-Pierre Brard a ironisé sur l’écart entre le terme de « faillite » utilisé par le Premier ministre pour décrire la situation dont il héritait – de qui d’ailleurs, sinon de la majorité précédente, qui est la même qu’aujourd’hui – et cette espèce de budget de croisière, qui réserve un traitement différent à la première et à la deuxième classe.

Nous sommes nombreux sur ces bancs, et pas seulement à gauche, à penser que le fossé à franchir sera grand entre les quinze milliards de cadeaux fiscaux de l’été, et le moment où vous devrez redescendre sur terre pour prendre la mesure de la réalité des difficultés économiques et financières que traverse notre pays. En un mot, nous craignons que ce qui manque dans ce budget ne se retrouve plus tard et que ce budget n’en cache un autre.

C’est sans doute pour prévenir cette impression, madame Lagarde, que vous nous avez parlé dans votre intervention liminaire d’un budget « compact », terme que vous n’avez pas repris ensuite. Vous étiez plus proche de la réalité quand vous évoquiez la rigueur à venir. En effet, si la rigueur n’est pas explicite dans votre budget, le contexte économique dans lequel il s’inscrit donne le sentiment qu’elle se profile à l’horizon.

Car la réalité que vous avez feint d’ignorer cet été n’en est que plus criante à l’automne. Cette réalité est celle de la profonde dégradation de nos finances publiques depuis 2002, qui, non seulement ne se résorbera pas – je vais y venir – mais qui pourrait même s’aggraver en 2008. C’est d’ailleurs ce qui ressort des prévisions des dix-sept instituts consultés lors de l’élaboration du budget. À ce propos, madame la ministre, il ne faut pas seulement retenir le point le plus bas ou le point le plus haut ; il faut aussi regarder les moyennes, qui indiquent l’opinion générale des conjoncturistes.

Dans votre introduction, vous vous êtes longuement étendue sur le point de croissance supplémentaire qui résulterait de votre politique. Mais, pour l’instant, ce n’est pas un point de croissance supplémentaire que nous constatons, c’est un demi-point de croissance en moins pour l’année 2007, et un point de croissance en moins par rapport à nos partenaires européens.
Alors que vous prévoyiez une croissance située entre 2 et 2,5 %, la réalité de 2007, désormais pratiquement acquise, est tout autre : la dernière note de conjoncture de l’INSEE la fixe à 1,8 %, conformément à l’avis unanime des économistes et de tous les instituts de prévision, et compte tenu, comme vous l’avez fait, de la légère amélioration observée au troisième trimestre.
Pour l’année prochaine, la prévision est de 2 % de croissance en moyenne, avec de fortes variations selon les instituts, jusqu’aux 2,6 % de croissance prévus par l’OFCE, sur lesquels je reviendrai à propos du déficit budgétaire car les deux sont liés. Mais tous les instituts sont d’accord sur un point : aucun ne retient l’hypothèse d’une forte accélération de la croissance. Autrement dit, le budget que vous construisez sur une hypothèse située entre 2 et 2,5 % est en désaccord avec la prévision moyenne des instituts privés

J’en viens maintenant au déficit. Pratiquement aucune des prévisions des instituts de conjoncture ne retient votre hypothèse d’une réduction, même légère, du déficit des finances publiques. Quand je parle de déficit, je parle de l’ensemble des comptes publics, comptes sociaux inclus. Trois instituts, que vous avez cités, le situent même au-delà de 3 % du PIB : c’est l’hypothèse de déficit retenu par l’OFCE. De ce point de vue, l’OFCE est cohérent : il suppose que le déficit va se creuser profondément, du fait de l’absence totale de financement des mesures que vous avez prises à l’automne, et dans ce cas la croissance peut dépasser les 2 %.

Il n’est même pas besoin de faire des hypothèses aussi éloignées de celles retenues par la plupart des instituts pour trouver un déficit qui est tangent à 3 %. J’ai lu attentivement le rapport de M. Carrez. On y trouve de passionnantes simulations sur longue période de l’évolution du déficit à partir de différentes hypothèses de croissance.

Il développe notamment une hypothèse « pessimiste » de croissance – je reprends le mot du rapporteur général – de 1,8 % pour l’année 2007 et de 2 % pour l’année 2008. J’observe que cette hypothèse pessimiste est très exactement la prévision moyenne de tous les instituts. Or, à partir de
ces hypothèses, notre rapporteur général trouve pour l’année 2008 un déficit des finances publiques de 3,1 %.

Dans ces conditions, madame la ministre, monsieur le ministre, êtes-vous sûrs que notre économie n’est pas en train de déraper à nouveau et notre déficit budgétaire de se rapprocher de la barre fatidique des 3 % du PIB ? Le risque est grand, si on en croit les données de la plupart des instituts. Quant à la cohérence de votre stratégie économique, madame la ministre, je voudrais revenir sur les longs développements que vous vous avez consacrés à la croissance. Selon vous, l’OFCE et d’autres instituts attribuent au projet TEPA un effet considérable sur la croissance. Il faut considérer les données : le projet TEPA, c’est quinze milliards d’euros d’allégements fiscaux, soit 0,7 à 0,8 point de PIB, et les instituts qui reconnaissent à ce projet un effet positif ne lui attribuent pas plus de 0,3 point de croissance. Je vous mets au défi de trouver une mesure budgétaire non financée de quinze milliards d’euros qui ne provoque qu’un tiers d’augmentation de la croissance. Je rappelle que dans l’hypothèse de l’OFCE, à laquelle vous vous référez, cette mesure n’est pas financée, c’est-à-dire que le déficit dérape à plus de 3 %. Je ne crois pas que ce soit l’hypothèse sur laquelle vous fondez votre projet de budget !

Il est donc juste de dire que ce projet TEPA est probablement la plus mauvaise utilisation des fonds publics qu’on puisse imaginer, car l’effet de relance lui-même, s’il existe, sera très modeste au regard de toute autre politique qui aurait redistribué la même somme, sans même tenir compte des autres effets.

Au fond, votre stratégie économique, telle qu’elle se dessine dans le budget ou dans la loi TEPA que nous avons examinée en juillet, est l’illustration des stratégies des révolutions conservatrices anglo- saxonnes des années 1980. Elle consiste à considérer que la meilleure façon d’aider la croissance et les revenus les plus modestes consiste à redistribuer de l’argent aux plus fortunés. C’est la thèse que développaient les idéologues des révolutions conservatrices, qui la désignaient du nom d’« économie du ruissellement » : si l’on donne de l’argent aux plus fortunés, ils travailleront plus et seront plus dynamiques ; il finira bien par tomber quelques gouttes sur les plus modestes. ...Or les résultats de ces politiques montrent que cela n’a jamais été le cas. Les inégalités se sont accrues dans des proportions fantastiques. Quant à l’idée qu’en appliquant une telle politique et en laissant le déficit se creuser on pourrait relancer la croissance économique et obtenir des rentrées
fiscales qui compenseraient cet effet, elle ne s’est jamais vérifiée.

Nous avons pu suivre depuis ces bancs une expérience grandeur nature : les cinq années 2002-2007. Vous vous souvenez sans doute que le quinquennat de M. Chirac a commencé lui aussi par un grand allègement fiscal non financé – il ne s’agissait pas alors de 15 milliards d’euros, mais de 5 milliards –, qui a, dès 2002, aggravé le déficit. Celui-ci a atteint 3,2 % du PIB et vous n’avez jamais été capables de revenir à une situation équilibrée ou à un déficit acceptable des finances publiques. La dette s’est envolée : jamais la France n’a jamais connu une aussi longue période de déficit, avec une dette qui a crû de plus de 8 points de PIB.

J’ai bien entendu l’intervention qu’a faite tout à l’heure M. Carrez et la réponse de M. le ministre. Lorsque vous évoquez, monsieur Carrez, la situation financière des cinq années qui précèdent, il semble que vous ne soyez pas seulement en désaccord profond avec le Premier ministre, qui parle de faillite,...

Gilles Carrez, rapporteur général. En termes de déficit !

Pierre-Alain Muet. ...mais aussi avec les chiffres.

Monsieur le ministre, puisque vous êtes chargé de l’ensemble des finances publiques, c’est-à-dire de l’ensemble des comptes des administrations, vous n’ignorez pas que notre pays a connu une période où le déficit des administrations a été réduit : entre 1997 et 2001. L’audit des finances publiques réalisé en 1997 évaluait le déficit à 3,5 % du PIB. À la différence de ce que vous avez fait, la première mesure que nous avons prise, à l’été 1997, a été de réduire le déficit pour le ramener à 3 % du PIB et nous avons continué à le réduire jusqu’en 2001, où il a atteint 1,7 % du PIB.

L’audit commandé par votre prédécesseur, M. Francis Mer, a fait apparaître un déficit compris entre 2,2 % et 2,6 % du PIB. Les chiffres des cinq dernières années montrent que le déficit de l’ensemble des finances publiques n’a jamais retrouvé le niveau où vous l’aviez trouvé en arrivant au pouvoir. La leçon est forte : c’est en ignorant les contraintes budgétaires que vous vous êtes trouvés dans cette situation.

...Les élections sont une chose, certes, mais les données chiffrées, publiées dans des documents que tout le monde peut consulter, en sont une autre. On ne peut donc pas, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, tenir les propos que vous avez tenus dans notre débat. La situation des finances publiques est profondément dégradée et je crains que le quinquennat qui s’ouvre ne reproduise la même stratégie.

Votre politique ne répond à aucun des problèmes de l’économie française. Elle ne répond en effet ni à l’insuffisance des créations d’emplois – votre projet de loi de finances ne prévoit quasiment rien pour l’emploi et le TEPA ne prévoyait rien du tout à cet égard...

Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Oh !

Pierre-Alain Muet. J’évoquerai dans un instant les heures supplémentaires, madame la
ministre.

Votre politique ne répond ni à la faiblesse du pouvoir d’achat, ni à la faiblesse de la croissance potentielle, ni au déficit de compétitivité, qui se chiffre à 30 milliards d’euros, ni, bien sûr, à l’endettement de notre pays.

Le débat n’est pas entre une politique de l’offre et une politique de la demande, car une politique économique équilibrée joue à la fois sur l’offre et la demande. Or, pour ce qui est de la demande, votre politique n’est pas seulement profondément injuste en termes de répartition des revenus, mais elle est également inefficace. Vous redistribuez en effet du pouvoir d’achat à nos concitoyens qui en ont le moins besoin, qui vont épargner et non pas consommer. C’est la raison pour laquelle les instituts de prévision qui procèdent au chiffrage de vos mesures, même lorsqu’ils considèrent
qu’elles ne seront jamais financées, c’est-à-dire que vous laisserez dériver les déficits, ne trouvent pratiquement pas de croissance.

Vous avez longuement évoqué les heures supplémentaires. L’emploi est totalement oublié dans votre projet de loi de finances, comme il l’était dans le projet TEPA. Avec l’incitation à faire des heures supplémentaires, vous tournez le dos à la création d’emplois et quand vous parlez de « travailler plus pour gagner plus », vous ne répondez pas vraiment à ceux qui ont besoin de
travailler plus pour gagner plus et qui souhaiteraient le faire, c’est-à-dire à ceux qui sont au chômage ou sont salariés à temps partiel, et qui sont près d’un million en France. Or ce n’est pas eux qui décident de leur temps de travail, mais le chef d’entreprise. Quant à la mesure d’incitation, on peut s’interroger sur l’intérêt qu’il y aurait à en bénéficier, car vos propres chiffrages font apparaître qu’elle n’aura quasiment aucun effet sur l’augmentation des heures supplémentaires. Ce sera un pur effet d’aubaine, puisque vos prévisions tablent exactement sur le même nombre d’heures supplémentaires et d’heures travaillées que les années précédentes. Je tiens encore à souligner le caractère injuste de votre politique fiscale, qui a d’ailleurs été
largement évoqué, et sur lequel je serai donc d’autant plus bref que le chiffre de 50 000 euros correspondant au montant moyen des sommes restituées au titre du bouclier fiscal me semble être désormais dans tous les esprits. Vous ne traitez pas le vrai sujet de l’impôt sur le revenu en France. Le problème est que la France a, en réalité, deux impôts sur le revenu : un impôt proportionnel, la CSG, qui a fini par devenir plus important que l’impôt sur le revenu, et un impôt progressif, l’impôt sur le revenu proprement dit. Au fil du temps, face notamment au déséquilibre des finances sociales, tous les gouvernements ont augmenté la CSG, ce qui revient à dire que l’impôt proportionnel n’a pas cessé de croître, alors que l’impôt progressif a été continûment réduit. La France est l’un des pays dont la fiscalité est la moins progressive, la moins redistributive, parce que nous n’avons pas su nous attaquer au problème de ce qui est en quelque sorte un double système d’imposition sur le revenu. Nous avons besoin de construire en France un grand impôt citoyen en réunifiant les deux. C’est la proposition que rappelait le président de la commission, qui est aussi celle du parti socialiste.


Le problème des taux marginaux de l’impôt sur le revenu – entendu au sens large d’imposition sur le revenu – ne concerne pas tant les hauts revenus, pour lesquels ils sont plutôt inférieurs dans notre pays à ce qu’ils sont chez la plupart de nos partenaires, que les revenus les plus bas : lorsqu’on passe d’un revenu de remplacement ou du RMI à un revenu d’activité, l’augmentation est pratiquement nulle, ou très faible, car les pertes de revenus complémentaires neutralisent l’augmentation liée au revenu d’activité. C’est là que se situe le problème.

Vous répondrez qu’il y a le revenu de solidarité active – le RSA –, et c’est heureusement vrai. Cependant, le RSA représente quelques millions d’euros, contre 15 milliards pour le paquet fiscal. Même en termes de pouvoir d’achat, votre politique est inefficace. Si vous vouliez réellement augmenter le pouvoir d’achat, vous pouviez recourir à une mesure très simple, que nous proposerons par amendement : l’augmentation de la prime pour l’emploi.

M. Louis Giscard d'Estaing. Nous l’avons fait !

Pierre-Alain Muet. Mais non ! Vous ne l’augmentez que du montant de l’inflation. Se contenterde maintenir la prime pour l’emploi à un niveau constant en termes réels quand on fait des cadeaux fiscaux pour les revenus plus élevés, alors que les autres impositions sont généralement indexées sur les prix, est proprement scandaleux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.) ...L’augmentation de la prime pour l’emploi représenterait 2 milliards d’euros, c’est-à-dire bien peu par rapport à ce que vous redistribuez en cadeaux fiscaux.

Votre politique est inefficace sur la demande...

Yves Censi. La prime pour l’emploi a doublé depuis 2002 !

Pierre-Alain Muet. Oui, mais nous vous proposons de continuer. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Prévoir 2 milliards pour les plus modestes quand on donne 15 milliards à ceux qui ne sont pas forcément ceux qui en ont le plus besoin me semble être une politique de justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Votre politique est également inefficace sur l’offre. Votre budget ne comporte pas de mesures incitatives. Il est tourné vers le passé, et non pas vers l’avenir. Il récompense ceux qui ont déjà réussi – ou leurs héritiers, qui n’y sont pour rien. Ce n’est pas en privilégiant l’héritage et la rente qu’on crée une économie dynamique. Votre budget n’incite pas à innover, ni à investir. Il y a bien, je vous l’accorde, le crédit d’impôt recherche, mais vous en changez le financement – je ne le détaillerai pas ici – et, surtout, vous en augmentez le plafond. Or le vrai problème du crédit d’impôt recherche est que les PME l’utilisent peu. En augmentant son plafond, vous permettrez à de nombreuses grandes entreprises d’en profiter, sans permettre pour autant aux PME d’en bénéficier. Vous prévoyez – même si elle a été un peu modifiée au cours des débats de la commission des finances – une mesure permettant un prélèvement libératoire sur les dividendes, mais vous ne faites rien pour l’investissement. Or notre économie souffre d’un investissement trop faible. Le problème n’est pas l’épargne : la France a depuis longtemps une épargne considérable et le taux d’épargne continue d’augmenter. Vous ne faites rien pour l’investissement et tout pour les dividendes. Nous aurions, au contraire, abaissé le taux de l’impôt sur le revenu pour les revenus investis et légèrement compensé par une augmentation du taux sur les revenus distribués. Cela aurait été une façon de relancer l’investissement. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Un mot encore à propos du budget des collectivités locales. Il est choquant que l’État fasse de la cavalerie. On ne cesse de répéter à nos concitoyens qu’il y a un déficit des finances publiques de l’ordre de 2,5 % ou 3 % du PIB, mais ce déficit des finances publiques recouvre une pratique que ne se permettent jamais les collectivités locales : le financement par l’emprunt non seulement des intérêts – et parfois de tous les intérêts – de la dette, mais aussi d’une bonne partie des dépenses courantes. Les collectivités locales, elles, respectent l’équilibre. Le problème du déficit des finances publiques, ce ne sont pas les collectivités locales et il n’y a aucune raison de leur appliquer la rigueur que doit s’imposer l’État s’il veut réduire son déficit. Or, en mélangeant tout, vous reportez encore une fois toutes les difficultés sur les collectivités locales. ...C’est d’autant plus choquant que ce sont les collectivités locales qui réalisent l’essentiel – plus des
deux tiers – de l’effort d’investissement public.

Vous évoquez l’objectif de réduire le nombre des fonctionnaires. Outre le fait que cela ne se traduit pas par une réduction importante du déficit – je ne répéterai pas les chiffres, qui ont déjà été beaucoup cités au cours de ce débat –, cette politique est absurde et aveugle. C’est ainsi que vous réduisez le nombre de fonctionnaires dans des secteurs que vous jugez, comme nous, prioritaires, comme l’éducation et le développement durable, avec une réduction de plus de 1 000 emplois des effectifs du ministère du développement durable et de près de 11 200 emplois de ceux du ministère de l’éducation nationale. Il est difficile de penser qu’on accorde une priorité à ces domaines lorsqu’on réduit d’une manière aveugle les emplois publics qui y sont affectés.
En outre, vous vous trompez sur le fond, car la différence fondamentale qui sépare les économies développées des économies en voie de développement ne tient pas à l’importance du secteur privé, ni à l’ouverture au commerce international, ni à l’efficacité du secteur privé, mais à l’efficacité et à l’importance du secteur public, du secteur non-marchand. Tout l’effort des pays qui veulent se développer vise précisément à construire un secteur public, par exemple dans le domaine de la santé, et à investir dans les infrastructures – en un mot, à développer l’intervention publique. Or vous n’avez aucune réflexion sur le rôle de l’intervention publique et vous commettez une erreur dramatique en termes de développement économique.

Un mot, enfin, sur le développement durable. Je suis bien conscient que se déroule, parallèlement à notre débat budgétaire, le Grenelle de l’environnement, mais je pense que nous sommes tous, sur tous les bancs de cette assemblée, conscients que nous allons devoir changer à très brève échéance de modèle de croissance économique. Nous savons que notre modèle de croissance qui, depuis la révolution industrielle, consiste à utiliser des ressources naturelles et à accumuler des déchets, n’est pas tenable et qu’il faudra en changer très prochainement à cause du réchauffement climatique. Or la France, dans ce domaine, est extrêmement en retard, notamment dans sa réflexion sur la fiscalité écologique. Quand on compare les taux de fiscalité que nous pratiquons sur certaines pollutions à ceux des pays qui ont pris ce problème à bras-le-corps – je pense à la Suède –, on ne peut que constater qu’il nous reste un effort considérable à accomplir. Par exemple, il est aberrant que le kérosène soit complètement exempté de TIPP. Je sais que ce n’est pas seulement un problème national, mais l’Europe pourrait intervenir en ce domaine. Et si la France la poussait à avancer, les comportements pourraient changer. Il faut que le prix des biens inclue le coût pour l’humanité de la consommation de ressources non renouvelables. Nous avons besoin de progresser en matière de fiscalité écologique.

Vous allez me dire que c’est le Grenelle de l’environnement qui traitera ces sujets. Mais alors que reste-t-il pour le projet de loi de finances ? À quoi sert-il ? Le paquet fiscal de l’été a dilapidé des marges de manœuvre dont on voit aujourd’hui qu’elles n’existaient pas ; l’environnement, deuxième grand sujet, n’est pas traité ; la dérive prévisible des déficits n’est pas évoquée : ce budget esquive trois des grands problèmes de notre économie. C’est vrai qu’il n’est probablement qu’un intermède, que le budget caché derrière celui-ci aura un coût plus amer et parachèvera sans doute l’injustice du paquet fiscal : vous avez fait des cadeaux aux plus fortunés, mais quand il s’agira d’équilibrer les finances publiques et les comptes sociaux, ce sera à tout le monde de payer ! ...Madame la ministre, après avoir évoqué avec franchise la rigueur, vous l’avez bannie de votre discours. Vous avez bien répondu à la première question de Laurent Fabius : y aura-t-il une loi de finances rectificative ?

Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi. Oui, c’est normal.

Pierre-Alain Muet. Mais vous n’avez pas répondu à sa deuxième question : il vous avait aussi demandé si vous augmenteriez la TVA ou la CSG, les deux peut-être. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

...Nous n’avons pas de réponse. Nous verrons ! Mais nos concitoyens ne sont pas dupes, ils sont à juste titre inquiets de ce qui les attend dans les six mois qui viennent. Et cela vaut aussi pour vous, mes chers collègues du côté droit de l’hémicycle : êtes-vous bien sûrs, puisque vous allez voter ce budget, de ne pas avoir à vous déjuger dans quelques mois ? Si vous doutez, si vous pensez qu’il y a un risque, qu’il faut peut-être revoir ce texte, vous vous joindrez sûrement à nous pour voter cette motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine).