Débat ce matin à l'Assemblée nationale sur la crise économique et sociale. Une crise qui traduit l’échec d'un libéralisme "qui inspirait, jusqu’à ces derniers mois, tous les discours du gouvernement et qui continue à dicter sa politique, même si la réalité l'amène aujourd’hui à faire, dans la précipitation, parfois l’inverse de ce qu'il inscrivait il y a seulement quelques semaines dans le budget". (voir mon intervention dans la suite de cette note)
Intervention de Pierre-Alain Muet à l'Assemblée nationale
Première séance du mardi 25 novembre 2008
Débat sur la crise économique et sociale et la régulation du système financier
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la crise économique et sociale et la régulation du système financier.
L’organisation de ce débat ayant été demandée par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, la parole est au premier de ses orateurs inscrits, M. Pierre-Alain Muet, pour dix minutes.
M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services, mes chers collègues, si le groupe socialiste a souhaité ce débat sur la crise économique et sociale,…c’est que notre pays traverse une crise profonde, bien antérieure à la crise financière mondiale dont les effets sont malheureusement encore devant nous.
Cette crise appelle un changement radical non seulement de la politique que vous conduisez depuis un an et demi, monsieur le secrétaire d’État, mais plus encore de la philosophie qui l’a guidée car la crise financière qui ébranle le monde n’est pas un accident de parcours, mais la preuve de l’échec massif et flagrant d’un libéralisme économique qui a conduit depuis deux décennies à déréguler tous les marchés.
...C’est l’échec du libéralisme qui inspirait, jusqu’à ces derniers mois, tous vos discours et qui continue à dicter votre politique, même si la réalité vous amène aujourd’hui à faire, dans la précipitation, parfois l’inverse de ce que vous inscriviez il y a seulement quelques semaines dans le budget.
Nous n’avons eu de cesse depuis un an de vous mettre en garde contre une politique qui tournait le dos à l’emploi, avec ce dispositif absurde sur les heures supplémentaires, une politique qui oubliait le pouvoir d’achat, avec ce refus d’augmenter le SMIC au prétexte que la seule façon d’améliorer le pouvoir d’achat serait de déréguler le marché des biens, une politique qui, en démantelant le droit du travail, ouvrait la porte aux pires régressions, y compris celle de travailler plus pour gagner moins.
Quel formidable fossé entre les promesses de campagne de Nicolas Sarkozy et la réalité de votre action !
Nicolas Sarkozy devait être le Président du pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat baisse depuis le début de l’année.
Il devait être le Président du plein emploi. L’emploi baisse depuis six mois.
Il devait être le Président qui irait chercher la croissance avec les dents. Nous sommes en quasi-récession et la consommation baisse ou en tout cas est étale depuis le début de l’année.
...Et si notre pays a vu s’effondrer la confiance, dans des proportions que nous n’avons pratiquement jamais connues dans le passé, c’est parce que les seules promesses qui ont été tenues ont été celles qui concernaient les plus fortunés de nos concitoyens tandis que toutes les autres étaient oubliées.
Oui, il faut changer radicalement de politique et pas seulement comme vous le faites, dans la précipitation, par exemple lorsque vous réactivez les emplois aidés après les avoir massivement supprimés depuis un an et demi. Quelle crédibilité accorder à des mesures dont on sait que, pour vous, elles ne sont que transitoires, et qu’elles seront abandonnées dans quelques mois ? Vous aviez d’ailleurs inscrit la suppression, ou du moins la forte réduction, de tous ces dispositifs pour les années à venir dans le projet de budget que nous discutions il y a seulement quelques jours.
Pour relancer durablement notre économie, il faut d’abord rétablir la confiance par une politique cohérente à court et moyen termes. S’il faut en effet relancer l’économie à court terme, il faut aussi donner à nos concitoyens et à nos entreprises une visibilité à moyen terme et nous vous ferons de nombreuses propositions en ce sens à l’occasion de ce débat.
Je voudrais pour ma part insister sur quatre axes.
Premièrement, il faut faire croître le pouvoir d’achat des salaires.
...Deuxièmement, nous avons besoin d’une profonde réforme fiscale pour augmenter les revenus les plus modestes et rétablir la justice fiscale.
Troisièmement, nous avons besoin de favoriser l’emploi et tout particulièrement l’entrée des jeunes dans la vie active.
Quatrièmement, il faut stimuler l’investissement privé et les grandes dépenses d’infrastructures.
S’agissant du pouvoir d’achat des salaires, vous avez écarté d’emblée deux instruments : d’une part, le coup de pouce au SMIC ; d’autre part, la négociation des partenaires sociaux. Pour que cette négociation soit favorable aux salaires, il faut subordonner les exonérations de cotisations non pas à l’exigence de commencer une négociation, mais à celle d’aboutir dans cette négociation. La première loi Aubry procédait ainsi, subordonnant les exonérations à la création d’emplois – un pourcentage d’emplois créés était même associé à la négociation. C’est en posant de telles conditions que vous arriverez à faire que les salaires croissent dans notre pays, au lieu qu’ils diminuent comme c’est le cas depuis plus de six mois en termes de pouvoir d’achat.
Deuxième axe, il faut rétablir la justice fiscale par une profonde réforme de notre fiscalité. Vous avez écarté d’emblée la proposition de Gordon Brown de baisser la TVA. Je pense que vous devriez réfléchir à une réforme fiscale pertinente, à court terme et à long terme.
La plupart des propositions que nous vous avons faites à travers nos amendements au projet de budget – la baisse des taux de TVA, l’augmentation de la prime pour l’emploi, la création d’une imposition minimale – s’inscrivent dans une vision cohérente de ce que devrait être la réforme fiscale dans notre pays.
Notre système fiscal présente le défaut majeur de contribuer très peu à la réduction des inégalités.
En effet, les impôts indirects sont élevés, et on sait qu’ils sont fortement régressifs. Nos concitoyens imaginent que la TVA, les impôts indirects, sont proportionnels, mais ce n’est pas le cas, loin s’en faut : l’ensemble des impôts indirects ponctionnent près de 12 % des revenus les plus modestes, contre seulement 3 % des revenus les plus élevés.
Et ce caractère régressif de l’imposition indirecte est à peine compensé par la progressivité de l’impôt sur le revenu. En effet, le système fiscal français a ceci de spécifique qu’il comporte deux impôts sur le revenu : un impôt proportionnel, la CSG, et un impôt sur le revenu proprement dit qui est très faible – deux fois plus que dans les autres pays. Même si le total, CSG plus impôt sur le revenu, a la même importance que l’impôt sur le revenu dans les autres pays, soit de 7 à 9 % du PIB, la conjonction des deux a pour conséquence que notre système d’imposition sur le revenu est très peu progressif. Surtout, il l’est de moins en moins puisque, au fil des années, vous avez baissé l’impôt sur le revenu proprement dit, notamment en abaissant les taux les plus élevés, tandis que, dans le même temps, pour équilibrer les comptes sociaux, vous n’avez cessé de développer la CSG.
Il faut remettre de la cohérence dans notre système. Et pour cela, il faut diminuer la TVA, qui est un impôt régressif, et engager une vraie réforme de l’impôt sur le revenu, en englobant la CSG et l’impôt sur le revenu proprement dit dans un impôt réellement progressif. C’est ce que nous avions essayé de faire avec la prime pour l’emploi.
Par ailleurs, lorsqu’on considère l’ensemble des prélèvements et de la politique publique, on constate que les taux marginaux les plus élevés concernent en réalité, non pas les plus hauts revenus, mais les plus bas. C’est ce qui nous avait conduits aussi à créer la prime pour l’emploi, c’est ce qui vous a conduits à mettre en place le revenu de solidarité active.
Si nous voulons que notre fiscalité soit vraiment cohérente, il faut rassembler, dans un même impôt sur le revenu, la CSG, la prime pour l’emploi, le revenu de solidarité active et l’impôt sur le revenu proprement dit.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Très bien !
M. Pierre-Alain Muet. Et il faut prévoir une imposition minimale.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances. Très bonne idée.
M. Pierre-Alain Muet. Il faut imaginer un système de taux cohérent.
Une telle réforme fiscale serait tout à fait cohérente avec le besoin de trouver des réponses à la crise économique, notamment en baissant la TVA et en augmentant la prime pour l’emploi. Les propositions que nous vous avons faites tout au long du débat budgétaire s’inscrivent dans cette vision cohérente d’une réforme fiscale qui manque aujourd’hui.
Je voudrais dire deux mots sur l’emploi. Comment peut-on maintenir, alors que l’emploi baisse fortement depuis six mois, le dispositif absurde d’exonération des heures supplémentaires ? Ce sera un cas d’école qui intéressera peut-être les historiens, mais je ne comprends pas comment on peut garder, quand l’emploi baisse, un dispositif qui favorise les heures supplémentaires au détriment de la création d’emplois ! La seule suppression de ce dispositif suffirait à redonner un petit coup de pouce à l’emploi.
... Vous pourriez utiliser les sommes dégagées pour conduire une vraie politique en faveur de l’emploi. Il ne s’agit pas seulement de recréer des emplois aidés, il faut avoir une vision et une stratégie à moyen terme, comme nous l’avions eue avec les emplois jeunes.
Autre point important en la matière, il faut offrir une sécurité professionnelle tout au long de la vie.
M. le président. Monsieur Muet, il faut conclure.
M. Pierre-Alain Muet. Je termine, monsieur le président.
M. le président. D’un mot, mon cher collègue, car votre temps de parole est épuisé.
M. Pierre-Alain Muet. Il faut aussi favoriser l’investissement productif au détriment de la distribution de revenus, en modulant, comme nous le proposons, le taux de l’impôt sur les sociétés.
Puisque la crise financière vous conduit aujourd’hui à remettre profondément en cause la politique que vous avez menée depuis un an et demi, allez plus loin et suivez les propositions que nous vous faisons. Non seulement notre pays s’en portera mieux mais, en répondant à l’inquiétude légitime de nos concitoyens, vous contribuerez à recréer la confiance qui lui manque si cruellement aujourd’hui.
M. Didier Migaud, président de la commission des finances, etM. Jérôme Cahuzac. Très bien !