Au lieu de répondre à la seule question qui vaille, c’est-à-dire celle de savoir comment financer, à l’ère du numérique, la création artistique et culturelle, le gouvernement construit une loi répressive pour essayer de rétablir le monde ancien.
Avec la révolution numérique, la reproduction d’une œuvre culturelle, qu’elle soit littéraire, audiovisuelle ou musicale, s’effectue à un coût quasiment nul. C’est une formidable chance pour l’humanité. C’est la possibilité d’accéder aux connaissances et à la culture, presque gratuitement. C’est d’ailleurs l’aboutissement d’une longue histoire puisque le même phénomène de baisse du prix de reproduction d’une oeuvre est apparu lors du passage du manuscrit au livre, ou du disque au CD.
Cela pose en revanche le problème du financement de la création culturelle puisque celui-ci se faisait, dans le passé, par l’intermédiaire de l’achat du support de l’œuvre qui a disparu.
Face à cette situation, deux attitudes sont possibles. La première consiste à rétablir la rareté pour rétablir un marché qui a disparu et à mettre en place une répression du téléchargement qui ne rapportera pas un centime à la création. C’est, comme je l’ai dit en réponse à Madame Alliot Marie, mardi 21 juillet, une démarche typiquement réactionnaire, au plein sens du terme. On en voit toute l’absurdité dans cette loi qui assimile le téléchargement à la contrefaçon, ce qui dénote une totale incompréhension de l’univers du monde numérique.
La seconde consiste, comme je le proposai dans mon rapport au CAE sur la société de l'informationpublié en 2004 avec Nicolas Curien à inventer de nouvelles régulations, c’est-à-dire une nouvelle forme de rémunération des droits d’auteur adapté à un univers qui est celui de la gratuité de fait de la copie. C'est le cas de la licence globale, ou de la « contribution créative» proposée par le groupe socialiste. En contrepartie du paiement d’une contribution forfaitaire par tous les abonnés au haut débit, ils sont autorisés à échanger entre eux sans but de profit sur internet les œuvres incluses dans le mécanisme de rémunération, les artistes étant rémunérés au prorata du nombre de fois où leurs œuvres auront été échangées sur les réseaux.
Que restera-t-il de ce débat ?
« En positif, il restera la décision du Conseil constitutionnel (rejetant Hadopi I), une décision fondamentale qui met le droit d’accès à internet dans les droits fondamentaux.
En négatif, il restera qu’au moment où une évolution technologique fondamentale, permet à chacun d’accéder aux œuvres culturelles de façon quasiment gratuite, la seule préoccupation du gouvernement aura été de créer une société de surveillance où chacun se sentira traqué.
Je vous le dis, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez, c’est tout simplement d’entrer dans l’avenir à reculons.» (intervention mercredi 22 juillet)
En vidéo, des extraits de mon intervention à l’Assemblée le 21 juillet
Interventions de Pierre-Alain Muet à l’Assemblée nationale
lors du débat sur l’Hadopi 2
les 21 et 22 juillet 2009
Mardi 21 juillet, 3èmeséance : Démarche réactionnaire ou nouvelle régulation !
M. le président.La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir l’amendement n° 28.
M. Pierre-Alain Muet. Cet amendement vise à recentrer le débat sur le financement de la création. Du fait de la révolution technologique, la reproduction d’une œuvre culturelle, qu’elle soit littéraire, audiovisuelle ou musicale, s’effectue à un coût quasiment nul. Cela devrait donc conduire à un prix de reproduction nul. C’est une formidable chance pour l’humanité. C’est la possibilité d’accéder aux connaissances, à la culture, presque gratuitement. C’est d’ailleurs l’aboutissement d’une longue histoire puisque le même phénomène d’abaissement du prix de reproduction est apparu lorsque nous sommes passés du manuscrit au livre, du disque au CD. Cela soulève un problème pour les entreprises qui utilisaient les techniques de production précédentes. Surtout, cela pose le problème spécifique du financement de la création culturelle puisque celui-ci se faisait, dans le passé, par l’intermédiaire de l’achat du support de l’œuvre.
Face à cette situation, deux attitudes sont possibles. La première consiste à rétablir la rareté pour rétablir le marché et à mettre en place la répression. C’est, au fond, ce que vous nous proposez. Or, madame Alliot-Marie, c’est typiquement une démarche réactionnaire, au plein sens du terme. La seconde consiste à inventer une nouvelle régulation, c’est-à-dire une nouvelle forme de rémunération des droits d’auteur puisque le support traditionnel a disparu. C’est ce que nous proposons à travers la contribution créative. C’est ce que d’autres pays ont fait à travers notamment la licence globale. Ce débat montre bien où est la réaction et où la régulation.
Mardi 21 juillet, 3èmeséance, Discussion de l’article 1 : Répondre la seule question qui vaille : comment financer à l’ère du numérique la création artistique et culturelle
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. Au lieu de répondre à la seule question qui vaille, c’est-à-dire celle de savoir comment financer, à l’ère du numérique, la création artistique et culturelle, vous construisez une succession de lois répressives afin d’essayer de rétablir une situation que l’évolution technologique a fait disparaître. Le vrai problème, c’est que ce qui servait au financement de la création culturelle était le coût du support de cette création. Or ce coût est devenu nul, avec internet. Il faut donc réinventer une façon de financer la création culturelle dans un univers qui est celui de la gratuité de la copie. C’est cela, la vraie question.
Le rapporteur nous a dit tout à l’heure que l’abonnement était absurde. Mais non ! L’abonnement, c’est précisément ce qui est adapté à une situation économique comme celle que crée la révolution numérique, c’est-à-dire qu’un bien peut être produit, transféré, diffusé de façon gratuite, mais en même temps, on sait bien que sa production a représenté un coût pour le créateur, lequel doit être rémunéré. Il faut donc, pour cela, faire preuve d’imagination. Et au lieu de cela, vous essayez de réintroduire une rareté, de réintroduire un marché là où le marché a disparu.
On comprend bien pourquoi : en faisant cela, vous défendez l’intérêt des majors, des entreprises qui s’appuient sur la diffusion de ces œuvres par le coût du support. Mais vous ne répondez pas du tout à la question de la création. Il vous faut un peu d’imagination. La seule que vous ayez en ce moment consiste à continuer une répression aveugle et absurde.
Mercredi 22 juillet, 2ème séance, règles déontologiques pour le recrutement des agents de l’Hadopi
M. le président.La parole est à M. Pierre-Alain Muet, pour soutenir l’amendement n° 196.
M. Pierre-Alain Muet.La suppression de l’alinéa 2 permet de rétablir une condition essentielle pour le recrutement de ces agents. J’avoue que je suis assez étonné d’entendre M. le rapporteur dire que, pour des raisons de cohérence, il opte pour la version la plus faible, c’est-à-dire le règlement intérieur, plutôt que pour le décret en Conseil d’État. Comme beaucoup de membres de cette assemblée, j’ai lu le rapport qu’il avait rédigé pour la loi HADOPI 1, dans lequel il écrivait ceci : « Enfin, cette nouvelle version se termine par un alinéa indiquant que les agents de la Haute autorité devront remplir des conditions de moralité et observer des règles déontologiques définies par un décret en Conseil d’État. Une fois encore, transparaît à travers cette disposition un souci manifeste d’adjoindre à la HADOPI des personnels les plus responsables et les plus professionnels possible. »
Est-ce à dire que vous n’auriez pas cette même ambition aujourd’hui, monsieur le rapporteur ? Je trouve cela profondément choquant.
Mercredi 22 juillet, 3èmeséance, Hadopi : Entrer dans l’avenir à reculons (discussion de l’article 2)
M. Pierre-Alain Muet.Le débat que nous avons à l’occasion de cet article 2 sur la contrefaçon montre que, pour accrocher votre loi répressive HADOPI, vous vous raccrochez au monde ancien alors que nous sommes dans un monde où une œuvre culturelle est totalement dépouillée de son support matériel.
M. Franck Riester, rapporteur. Mais pas de ses droits !
M. Pierre-Alain Muet. La seule question effectivement, c’est de savoir comment rémunérer les droits d’auteur, mais ce n’est pas en essayant de vous raccrocher à la contrefaçon, qui n’a rien à voir avec l’univers en question, que vous résolvez ce problème
Au fond, que restera-t-il de ce débat sur la loi HADOPI ?
En positif, il restera la décision du Conseil constitutionnel, une décision fondamentale qui met le droit d’accès à internet dans les droits fondamentaux comme le droit à l’imprimerie, à la culture, à l’accès aux œuvres culturelles.
En négatif, il restera qu’au moment où nous avons une évolution technologique fondamentale, qui permet à chacun d’accéder à la culture, aux œuvres culturelles, de façon quasiment gratuite, votre seule préoccupation aura été de créer une société de surveillance où chacun se sentira traqué.
Je vous le dis, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez, c’est tout simplement d’entrer dans l’avenir à reculons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)