Limiter la dérive des hautes rémunérations

15
Oct
2009

« Il ne peut pas y avoir d’économie sans morale. Il ne doit plus y avoir de parachutes dorés. Il ne doit plus y avoir de bonus, de distributions d’actions gratuites ou de stocks-options dans une entreprise qui reçoit un aide de l’état, qui met en oeuvre un plan social d’ampleur, ou qui recourt massivement au chômage partiel. Pourquoi ? parce que quand on met en oeuvre un plan social quand on recours au chômage partiel on recours aux fonds publics. Et ces fonds publics il n’est pas honnête de les utiliser, même de façon petite pour rémunérer des gens qui ne le méritent pas » .

Qui s’exprimait ainsi ? Un membre de l’opposition ? Non le président de la République en mars de cette année dans son discours de Saint Quentin.  Et il ajoutait s’adressant aux chefs d’entreprises qui l’écoutaient « la clause de rendez vous ce n’est pas à la fin de l’année c’est à la fin du 1er trimestre… »

Que s’est il passé depuis ? Rien ou plutôt si. Nous, socialistes avons pris au pied de la lettre le discours présidentiel. Nos avons déposé en avril de cette année une proposition de Loi dont j’étais rapporteur pour supprimer les bonus et limiter les rémunérations des dirigeants dans les entreprises faisant appel au fonds publics. Qu’a fait la majorité présidentielle ? Elle a voté contre.

Nous sommes bientôt à la fin du second semestre et force est de reconnaitre que rien n’est venu. Ou plutôt si. A peine la bourse se redressait elle et avec elle les profits des banques, que celles-ci provisionnaient de façon scandaleuse pour verser des bonus à leurs dirigeants.

Et, alors que des dizaines de milliers de salariés chaque mois continuent à perdre leur emploi, que d’autres voient baisser fortement leur pouvoir d’achat, les mêmes dérives que celles qui ont conduit le monde dans la crise reprenaient, chez nous en toute impunité.

C’est pourquoi le Groupe socialiste à nouveau déposé une proposition de Loi, discutée ce jeudi 15 octobre pour limiter ces dérives (voir mon intervention dans la suite de cette note).

Intervention de Pierre-Alain Muet à l'Assemblée nationale

 

Rémunérations des dirigeants d’entreprises et des opérateurs de marché

Deuxième séance du jeudi 15 octobre 2009

 

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai par une citation.

« II ne peut pas y avoir d'économie sans morale. Il ne doit plus y avoir de parachutes dorés. Il ne doit plus y avoir de bonus, de distributions d'actions gratuites ou de stocks-options dans une entreprise qui reçoit un aide de l'État, qui met en œuvre un plan social d'ampleur, ou qui recourt massivement au chômage partiel. Pourquoi?...

Parce que quand on met en œuvre un plan social, quand on recourt au chômage partiel, on recourt aux fonds publics. Et ces fonds publics, il n 'est pas honnête de les utiliser, même de façon petite, pour rémunérer des gens qui ne le méritent pas. » Qui s'exprimait ainsi?

...Le Président de la République, en mars de cette année, dans son discours de Saint-Quentin.

...Et il ajoutait même, en s'adressant aux chefs d'entreprise qui l'écoutaient: « La clause de rendez-vous, ce n'est pas à la fin de l'année, c'est à la fin du premier trimestre. » Que s'est-il passé depuis?

...Ou plutôt si: nous, socialistes, avons pris au pied de la lettre le discours présidentiel.

...Cela nous arrive!

Nous avons déposé, en avril de cette année, une proposition de loi visant à supprimer les bonus et à limiter les rémunérations des dirigeants dans les entreprises recapitalisées par l’État et faisant donc appel aux fonds publics. Qu'a fait la majorité présidentielle? Elle a voté contre.

Nous sommes bientôt à la fin du second semestre, et force est de reconnaître que rien ou presque rien n'est venu. Ou plutôt si: à peine la bourse se redressait-elle – et avec elle les profits des banques –, que celles-ci provisionnaient de façon scandaleuse pour verser des bonus à leurs dirigeants.

Alors que, chaque mois, des dizaines de milliers de salariés continuent à perdre leur emploi, que d'autres voient baisser fortement leur pouvoir d'achat, les mêmes dérives que celles qui ont conduit le monde dans la crise reprenaient chez nous en toute impunité.

Limiter ces dérives, ce n'est pas seulement une question d'éthique et de morale. C'est aussi et d'abord une question de justice et d'efficacité économique. Car la crise que nous traversons est loin d'être derrière nous. Dans tous les pays, elle a la même origine: une dérive de la finance entretenue par une explosion des inégalités et tout particulièrement par une augmentation incontrôlée des rémunérations des dirigeants.

Depuis 2002, alors que le pouvoir d'achat de 90 % des salariés stagne dans notre pays, celui des dirigeants de sociétés s'est envolé, augmentant de 40 % en moyenne. La rémunération des dirigeants des grandes entreprise a souvent été multipliée par quatre ou cinq pour atteindre, pour les dirigeants du CAC 40 par exemple, la somme de 4,7 millions d'euros annuels, c'est-à-dire trois cents fois le SMIC!

Ce creusement des inégalités marque une rupture historique par rapport à la situation qui a prévalu pendant des décennies, après la Seconde Guerre mondiale. L'écart des rémunérations, qui était de l'ordre d’un à vingt ou d’un à trente dans les années 1960, 1970 et 1980, dans tous les pays dont le nôtre, a littéralement explosé. Au cours des années qui ont précédé cette crise, on retrouve la même explosion que durant la période précédant la crise de 1929.

Or il n'existe aucune justification économique à ce niveau de rémunérations. Rémunèrent-elles le risque? Non. Elles reposent sur des rémunérations variables – bonus et stock-options – qui ne sont exercées que lorsqu'elles sont favorables. Comment parler de rémunération du risque quand celui qui a échoué part avec un parachute doré ou une retraite chapeau de plusieurs millions d'euros?

Rémunèrent-elles la performance? Non. Elles reflètent, en grande partie, les mouvements de la bourse et une situation de rente, entretenue par l'opacité et le contrôle insuffisant des rémunérations des dirigeants.

Qui peut croire que la valeur travail d'un dirigeant du CAC 40 qui touche trois cents fois le SMIC est cent fois supérieure à celle d'un patron de PME dont la rémunération moyenne est de trois SMIC? Ce rapport d’un à cent a-t-il un sens? Non!

...C’est indécent. Cette explosion des rémunérations devient encore plus indécente quand elle concerne des entreprises qui ont fait appel aux fonds publics. Peut-on accepter que l'argent public serve à verser des rémunérations excessives à des dirigeants dont l'entreprise a été sauvée de la faillite par le contribuable?

...C'est pourquoi cette proposition de loi reprend l'objectif que nous avions déjà avancé en avril: plafonner les rémunérations des dirigeants des entreprises qui ont bénéficié d'une aide publique à vingt-cinq fois le salaire le plus bas de l'entreprise.

Vingt-cinq fois, c'est déjà beaucoup. C'est comparable à ce qui existait dans presque tous les pays, durant les années 1960, 1970 ou 1980, avant la dérive des rémunérations. C'est comparable à la mesure prise par le Président Obama aux États-Unis, qui a limité les rémunérations à 500000 dollars, soit environ 300000 euros, dans les entreprises recapitalisées. C'est cohérent aussi avec les rémunérations les plus élevées du secteur public.

Cependant, cette proposition de loi va bien au-delà. Certes, elle vise à rendre les rémunérations des dirigeants de société plus transparentes grâce à l’instauration d’un comité des rémunérations indépendant, mais elle tend aussi à faire en sorte que, dans chaque entreprise, les actionnaires jouent pleinement leur rôle: que le conseil d’administration propose au vote de l’assemblée générale des actionnaires, après consultation du comité d’entreprise, un rapport entre la plus basse et la plus haute rémunération.

M. Alain Vidalies. La transparence!

M. Pierre-Alain Muet. Il ne s’agit pas d’uniformiser les choses.

M. Henri Emmanuelli. Il s’agit de réformer!

M. Pierre-Alain Muet. Il s’agit de demander que, dans les sociétés, les actionnaires jouent pleinement leur rôle et qu’il y ait une transparence sur les rémunérations.

Elle introduit aussi une limitation aux parachutes dorés et aux retraites chapeaux. Une protection raisonnable pour les dirigeants d'entreprises ne doit pas servir à verser des rémunérations excessives d'autant plus scandaleuses que, souvent, l'entreprise va mal. Mon collègue a rappelé certains exemples. On se souvient aussi de Thierry Morin quittant l'entreprise Valéo en difficulté avec plus de trois millions d'euros, ou encore d'Antoine Zacharias quittant Vinci avec treize millions d’euros.

Pour éviter que ne se prolongent de telles dérives, nous proposons de limiter les indemnités de départ à deux fois la plus haute indemnité de licenciement d'un salarié. C’est aussi une règle de transparence et de bon sens.

Dans le domaine des retraites chapeaux, on ne peut pas se contenter de mesures cosmétiques, comme celles prises récemment par le Gouvernement. C'est pourquoi nous proposons de les limiter à 30 % de la rémunération de la de la dernière année d'exercice de la fonction.

Enfin, les stocks-options doivent être réservées à ce pourquoi elles ont été créées: permettre à de jeunes entreprises innovantes de financer la création, le risque du créateur. Elles ne sont pas destinées à verser des rentes et à entretenir l’opacité sur la rémunération des dirigeants des grandes entreprises. C'est pourquoi nous proposons de les réserver aux entreprises créées depuis moins de cinq ans.

Dans la phrase du Président de la République que j’ai citée, le mot « mérite » revenait. Aujourd’hui, nos concitoyens ont compris que trop d'avantages disproportionnés ont tué la notion de mérite et de performance.

Quand on confond l'enrichissement avec le bien commun, quand on légalise les paris en ligne pour les amis du Fouquet’s, quand on protège et exonère de tout effort de solidarité les plus fortunés grâce au bouclier fiscal et que, dans le même temps, on fait peser sur les plus modestes et sur les générations futures tout le poids de la crise, on mine la notion de mérite et de performance.

En instaurant le principe d'une rémunération maximale, fixée par l’État quand elle concerne une entreprise ayant bénéficié de fonds publics et laissée à l’appréciation des actionnaires – mais en toute transparence – pour les autres, cette proposition de loi ne vise pas seulement à corriger des injustices: en mettant fin à l'opacité et à des situations de rentes injustifiées, elle remet aussi notre économie sur ses pieds. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)