Le changement de statut de la poste n’est justifié ni par la directive européenne qui n’impose rien quant au statut de la Poste, ni par la l’ouverture à la concurrence en janvier 2011. C’est un non-sens d’imaginer un seul instant que la concurrence postale pourrait ressembler à celle du secteur des télécommunications – secteur qui, lui, a connu une révolution technologique –, c’est-à-dire une compétition entre un petit nombre d’opérateurs européens qui se partageraient un marché européen.
La Poste reste fondamentalement un service national de proximité. C’est d’ailleurs là, dans sa contribution à l’aménagement du territoire, dans sa mission de service bancaire ouvert à tous et dans un service postal couvrant tout le territoire, que prend tout son sens d’établissement public réalisant une mission de service public.
Quant à l’argument du financement il est encore plus fallacieux. Changer le statut de La Poste pour permettre à la Caisse des dépôts d’apporter sa contribution aux cotés de l’État, celui-ci n’apportant que 1,2 milliard, et la Caisse 1,5 milliard fait jouer à la Caisse un rôle qui n’est pas le sien et qui pourrait être contesté par la Commission européenne.
Rien ne justifie en réalité ce changement de statut sinon la perspective d’ouverture à terme de son capital. Chacun se souvient du précédent de GDF qui ne devais jamais être privatisé selon les engagements du ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy.
L’indigence de la réflexion européenne en matière de service public
Il serait temps qu’en Europe on réfléchisse sérieusement à la dérégulation à laquelle on a procédé dans tous les secteurs. Dans certains secteurs qui ont connu une révolution technologique, comme les télécommunications il fallait, effectivement, assurer les missions de service public d’une autre façon.
Mais est-ce le cas dans les autres secteurs ? Je me souviens, par exemple, des cours de Marcel Boiteux expliquant que l’électricité était un monopole naturel. Est-ce que cela a changé, aujourd’hui ? Non, il en va toujours ainsi. Y avait-il un sens à changer les règles dans le secteur de l’électricité ? Pas du tout. Il a fallu inventer une concurrence fictive entre des consommateurs à un endroit, des producteurs à un autre, comme si les électrons pouvaient passer d’un producteur bien déterminé à un consommateur bien déterminé…
Pour introduire la concurrence dans ce secteur, avec cette idée folle qu’il fallait le faire partout, l’Europe a trouvé le moyen d’inventer des marchés fictifs ! Il faut s’arrêter une seconde sur ces marchés fictifs, qui ne correspondent à aucune réalité technologique. Les marchés fictifs, c’est aussi, en grande partie, ce que la finance n’a cessé d’inventer depuis la libéralisation d’il y a une vingtaine d’années ; et c’est aussi ce qui a conduit l’économie mondiale à la crise. Alors, arrêtons ! Revenons au bon sens, y compris économique ! Dans le secteur de la poste, comme dans celui de l’électricité et dans beaucoup d’autres, il n’y a aucune raison de changer fondamentalement la façon dont sont assurées les missions de service public.
Pour un référendum sur le changement de statut de la Poste
Vous trouverez l’intégralité de mon intervention dans la suite de cette note et des extraits dans la vidéo ci jointe.
Les services publics, c’est une décision que prend une nation, c’est une décision que prennent les citoyens sur ce qu’ils considèrent comme devant échapper au marché. C’est à l’ensemble des citoyens de décider ce qui doit être un service public. C’est pourquoi, comme la majorité des Français, sur ce sujet fondamental, oui, nous voulons, nouds socialistes un référendum.
Intervention de Pierre-Alain Muet à l'Assemblée nationale
La Poste et les activités postales
Première séance du jeudi 17 décembre 2009
Discussion générale
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. Pourquoi transformer l’établissement public de La Poste en société anonyme ?
Écartons pour l’instant la seule véritable raison, c’est-à-dire la possibilité d’ouvrir ultérieurement son capital. Vous avez dit, monsieur le ministre, qu’elle était « imprivatisable ». Admettons-le pour un instant.
...Le changement de statut est-il imposé par l’Union européenne ? Non. L’Union européenne se limite à intervenir sur les conditions de la concurrence, mais n’impose aucune obligation sur le statut des entreprises. Comme l’a rappelé mon collègue Henri Jibrayel, la Cour de justice européenne a reconnu que les traités laissaient une grande latitude aux États pour permettre aux entreprises publiques d’assurer convenablement les missions de service public, a fortiori quand il s’agit d’établissements publics.
Est-il rendu nécessaire par l’évolution des conditions de la concurrence dans le secteur postal? Non, même avec l’ouverture complète à la concurrence en janvier 2011. C’est un non-sens d’imaginer un seul instant que la concurrence postale pourrait ressembler à celle du secteur des télécommunications – secteur qui, lui, a connu une révolution technologique‚–, c’est-à-dire une compétition entre un petit nombre d’opérateurs européens qui se partageraient un marché européen. La Poste reste fondamentalement un service national de proximité. C’est d’ailleurs là, dans sa contribution à l’aménagement du territoire, dans sa mission de service bancaire ouvert à tous et dans un service postal couvrant tout le territoire, que prend tout son sens son statut d’établissement public, réalisant une mission de service public.
Je comprends que cela puisse être le rêve d’un patron de La Poste que de participer à la concurrence européenne, comme le font les présidents de grandes entreprises dans les télécommunications, mais je crois que cela ne correspond pas à la réalité économique du secteur.
Alors, vous avez trouvé cet argument du financement qui est quand même assez étonnant. Après tout, dans le droit européen, quand un établissement public exerce des missions de service public, le financement doit être naturellement public. Certes, la directive qui supprime le secteur réservé complique le financement, puisqu’il devra en partie être assuré d’une autre façon. Mais c’est, là encore, le rôle de l’État que de l’assumer.
Pour couvrir ce besoin de financement – que tout le monde est prêt à reconnaître – de 2,7 milliards, vous avez feint de considérer qu’il fallait changer le statut de La Poste afin de permettre à la Caisse des dépôts d’apporter sa contribution aux cotés de l’État, celui-ci n’apportant que 1,2 milliard, et la Caisse 1,5 milliard. Comme l’a très bien démontré mon collègue Balligand, le rôle de la Caisse des dépôts, dans cette affaire, est extrêmement discutable. Si elle intervient pour contribuer au financement, il faut qu’elle intervienne comme un « investisseur avisé ».
M. Jean Proriol, rapporteur. C’est exactement le cas.
M. Pierre-Alain Muet. Non, ce n’est pas le cas. Dans un secteur où le changement des modes de financement va conduire, si vous ne faites rien – et pour l’instant, rien n’est prévu‚–, à des pertes qu’il va falloir faire couvrir par le secteur public, on se demande quel intérêt patrimonial a la Caisse des dépôts à jouer ce rôle. La Commission européenne peut donc très bien considérer que, ce faisant, elle n’agirait pas en « investisseur avisé ». La vraie logique, c’eût été de maintenir un établissement public, avec un financement public.
M. Alain Vidalies. Très bien!
M. Pierre-Alain Muet. Si ces deux raisons ne sont pas les vraies raisons du changement de statut, la seule qui ait un sens est celle que certains d’entre vous – peut-être pas vous, monsieur le ministre, qui êtes sûrement de bonne foi‚–, doivent avoir en tête, c’est-à-dire une ouverture du capital, qui conduira tôt ou tard à une privatisation.
Vous le contestez, mais nous avons des exemples de propos similaires, qui ne remontent pas à un passé très lointain: un ministre des finances expliquait, en 2004, que GDF ne serait jamais privatisée, ce qui s’est produit quelques années plus tard. Ce ministre des finances, comme vous le savez, c’est l’actuel Président de la République.
Il serait temps qu’en Europe on réfléchisse sérieusement à la dérégulation à laquelle on a procédé dans tous les secteurs. Dans certains secteurs, cela avait un sens, notamment dans ceux qui ont connu une révolution technologique. Dans celui des télécommunications, par exemple, il faut, effectivement, assurer les missions de service public d’une autre façon, parce qu’il est devenu concurrentiel, avec un certain nombre d’opérateurs européens. Les missions de service public doivent être organisées, au sein de ces opérateurs, avec un régulateur.
Mais est-ce le cas dans les autres secteurs? Je me souviens, par exemple, des cours de Marcel Boiteux expliquant que l’électricité était un monopole naturel. Est-ce que cela a changé, aujourd’hui? Non, il en va toujours ainsi. Y avait-il un sens à changer les règles dans le secteur de l’électricité? Pas du tout. Il a fallu inventer une concurrence fictive entre des consommateurs à un endroit, des producteurs à un autre, comme si les électrons pouvaient passer d’un producteur bien déterminé à un consommateur bien déterminé… Pour introduire la concurrence dans ce secteur, avec cette idée folle qu’il fallait le faire partout, l’Europe a trouvé le moyen d’inventer des marchés fictifs!
Il faut s’arrêter une seconde sur ces marchés fictifs, qui ne correspondent à aucune réalité technologique. Les marchés fictifs, c’est aussi, en grande partie, ce que la finance n’a cessé d’inventer depuis la libéralisation d’il y a une vingtaine d’années; et c’est aussi ce qui a conduit l’économie mondiale à la crise.
Alors, arrêtons! Revenons au bon sens, y compris économique! Dans le secteur de la poste, comme dans celui de l’électricité et dans beaucoup d’autres, il n’y a aucune raison de changer fondamentalement la façon dont sont assurées les missions de service public.
Et puis, puisque vous faites souvent appel à des économistes comme Joseph Stiglitz ou Amartya Sen, puisque le Président de la République les consulte pour parler du bien-être, il devrait aussi les consulter sur leur conception du service public. Joseph Stiglitz a écrit des textes tout à fait passionnants, montrant que, finalement, le modèle français de service public était peut-être beaucoup plus efficace… que la dérégulation qui a été appliquée par l’Union européenne après avoir été préconisée pendant des décennies par les économistes américains.
En tout cas, en ce qui concerne La Poste, je crois que nos concitoyens se sont très largement exprimés. Ils sont tous favorables, non seulement au maintien d’un statut public, mais à un établissement public, qui est la façon la plus naturelle d’exercer des missions de service public qui restent fondamentales.
Pourquoi n’avoir pas consulté nos concitoyens? Après tout, il y avait une façon très simple d’appliquer la révision constitutionnelle. C’était, d’abord, de présenter au Parlement tous les projets de loi organique permettant de mettre en œuvre toutes les dispositions nouvelles, y compris celle relative au référendum.
...Vous aviez là une belle occasion de consulter nos concitoyens. Parce que, après tout, les services publics, c’est une décision que prend une nation, c’est une décision que prennent les citoyens sur ce qu’ils considèrent comme devant échapper au marché. C’est cela, la logique d’un service public. C’est à l’ensemble des citoyens de décider ce qui doit être un service public. C’est pourquoi, comme la majorité des Français, sur ce sujet fondamental, oui, nous voulons un référendum. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)