Loi de règlement et débat d'orientation des finances publiques: l'occasion de rappeler la triple explosion de la dette, des déficits et du chômage

27
Jui
2011

Voici le début de mon intervention lors de la discussion de la loi de réglement:

"Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, l'exécution budgétaire de 2010 s'est achevée par un déficit du budget de l'État de 148,8 milliards, supérieur de 10,8 milliards à celui de 2009 et de 31,4 milliards à celui prévu par la loi de finances initiale. Comme le rappelle la Cour des comptes, ce déficit représente presque la moitié des dépenses nettes du budget général et la somme des trois plus importantes missions du budget général : « Enseignement scolaire », « Recherche et enseignement supérieur », « Défense ».

...

Puisque le Président de la République évoquait son bilan ce matin, je vais y revenir. II tient en trois mots : une explosion de la dette, une explosion du chômage et une explosion des inégalités.

...

Mes chers collègues, au regard de la situation, la conclusion est claire. Pour réduire la dette et les déficits, il n'est pas nécessaire de changer la Constitution. En revanche, il faut changer de majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)"

 

L'intégralité de mes interventions dans la suite de cette note:

Intervention de Pierre- Alain Muet à l'Assemblée nationale

Première séance du lundi 27 juin

Projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010

Extrait du compte rendu intégral

  

Motion de renvoi en commission

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. Pierre-Alain Muet.

M. Pierre-Alain Muet.Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, l'exécution budgétaire de 2010 s'est achevée par un déficit du budget de l'État de 148,8 milliards, supérieur de 10,8 milliards à celui de 2009 et de 31,4 milliards à celui prévu par la loi de finances initiale. Comme le rappelle la Cour des comptes, ce déficit représente presque la moitié des dépenses nettes du budget général et la somme des trois plus importantes missions du budget général : « Enseignement scolaire », « Recherche et enseignement supérieur », « Défense ».

J'interviendrai sur cinq points.

Premier point : un déficit structurel historique. Le rapport de la Cour des comptes montre que sur les 140 milliards de déficit de 2010, 100 milliards sont d'origine structurelle. Cela correspond d’ailleurs à l’évaluation réalisée par vos services, monsieur le ministre, puisque vous évaluez le déficit structurel des administrations publiques à cinq points de PIB. Cela signifie que dans les 140 milliards de déficit, 40 sont dus à la crise et 100 milliards aux politiques suivies. S’il n’y avait pas eu la crise, si la croissance avait été égale à la croissance potentielle de l’économie, le déficit de 2010 serait tout de même de 100 milliards d’euros. Ce déficit est malheureusement historique, il n’a jamais été observé depuis que l’on dispose d’une comptabilité de l’ensemble des administrations publiques. Nous savons d’où vient ce déficit structurel. Il résulte, pour l’essentiel, des 70 milliards d’allégements fiscaux réalisés depuis 2002, 40 milliards depuis 2007, en grande partie d’ailleurs pour nos concitoyens les plus fortunés. Ces allégements fiscaux ont été entièrement payés à crédit

La comparaison avec le reste de l'Europe est éclairante : notre déficit atteint 7,1 % du PIB en 2010, quand celui de la zone euro hors France est de 5,8 % et celui de l'Allemagne de 3,3 % du PIB. La raison est claire. Si l’Allemagne n’est pas aujourd’hui très loin des 3 % et si elle y reviendra facilement, c’est simplement parce qu’elle a réduit ses déficits pendant la période de croissance qui précédait la crise. Je rappelle – j’ai déjà eu l’occasion de le faire plusieurs fois, lors de débats budgétaires – que la France et l’Allemagne avaient en 2005 le même déficit. Le déficit allemand était même un petit peu plus élevé en pourcentage du PIB.

L’Allemagne a ramené son déficit à zéro en 2008 ; la France l’a laissé dériver. Elle était en déficit excessif avant d’aborder la crise. C’est la raison pour laquelle notre déficit est aujourd’hui de 7 points de PIB, dont cinq points de déficit structurel.

Dans la période de croissance qui précédait la crise, la plupart des pays européens ont réduit leur déficit. Je rappelle qu’entre 2002 et 2008, l’économie mondiale a connu sa plus forte croissance des vingt-cinq dernières années. La France est restée un peu à l'écart de cette croissance, en raison d’une politique qui n’a pas produit les effets que certains proclamaient, mais le résultat est là : la France a laissé dériver ses déficits dans une période de croissance forte. C’est pour cela qu’elle se trouve aujourd’hui dans cette situation budgétaire.

Ma deuxième remarque est également issue du rapport de la Cour des comptes. Pour la première fois, celle-ci distingue, dans le déficit structurel, ce qui relève de l’État de ce qui relève des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale. La conclusion est claire. Le déficit structurel des administrations publiques, c’est uniquement et pour l’essentiel le déficit de l’État. Le déficit structurel des administrations de sécurité sociale n'est que de 0,1 % du PIB et les collectivités locales connaissent un excédent structurel de 0,1 %.

Cela permet de revenir sur la politique du Gouvernement à l’égard des collectivités locales. Celles-ci ne sont clairement en rien concernées par le déficit des finances publiques. Elles ont un excédent structurel et toute la politique de ces dernières années, qui a consisté pour l’État à se défausser de ses turpitudes sur les collectivités locales en transférant des dépenses sans transférer les crédits, en désindexant des dotations indexées sur l’inflation et sur une partie de la croissance, toute cette politique est totalement injustifiée. C’est l’État, incapable de maîtriser ses déficits, qui se défausse sur les seules administrations qui sont en équilibre et sont obligées de l’être : les collectivités locales.

Je rappelle que la plupart des dotations que vous avez désindexées remplaçaient des impôts d’État, c’est-à-dire des impôts qui augmentaient comme l’inflation et comme le PIB. Nous, nous avions indexé ces dotations sur l’inflation et sur la moitié de la croissance. Ces dernières années, vous avez arrêté d’indexer sur la moitié de la croissance, vous n’avez indexé que sur l’inflation et dans le dernier budget, vous n’avez plus du tout indexé, ce qui est une façon de faire supporter par des administrations vertueuses les vices de votre politique.

Ma troisième remarque concerne les recettes conjoncturelles qui sont légèrement favorables, puisque 10 milliards de recettes n’étaient pas prévues. Vous auriez dû normalement, comme l’a rappelé M. le rapporteur général dans son rapport, affecter ces 10 milliards de recettes non prévues au déficit. Mais vous faites le contraire : non seulement vous les affectez à la dépense, mais les dépenses supplémentaires sont très largement supérieures à ces 10 milliards, puisque, face à cette somme, on trouve 17 milliards de dépenses nouvelles ; 4,3 milliards de dérapage des dépenses, de sorte que le respect apparent de la norme de dépense ne résulte que des économies conjoncturelles, notamment sur la charge de la dette. La réforme de la taxe professionnelle laisse un déficit de 9,2 milliards auquel s’ajoutent 3,6 milliards de mesures structurelles nouvelles, dont 1,6 milliard de baisse de la TVA dans la restauration. Une bonne gestion aurait dû vous amener à affecter ces recettes à la réduction des déficits, mais vous avez augmenté, une fois de plus, le déficit structurel de près de 17 milliards d’euros.

Ma quatrième remarque concerne les investissements d’avenir. En gonflant artificiellement le déficit de 2010 de près de 34 milliards d'euros, le grand emprunt donne une vision trompeuse de la réalité du déficit de l'État pour 2011 en comptabilité budgétaire. En effet, 34 milliards sont comptabilisés dans le déficit de 2010, alors que les dépenses effectives sont inférieures à un milliard d’euros. De plus, elles ne figurent pas dans la norme. Selon la Cour des comptes : « Rien ne justifie que ces dépenses qui ont été imputées sur des programmes budgétaires soient soustraites à la norme. » Mais surtout, la réduction apparente du déficit que l’on va observer en 2 011 par rapport à 2010 sera très largement fictive, puisqu’elle résulte de la disparition comptable des 34 milliards du grand emprunt et un peu de la fin du plan de relance.

La situation à venir de nos finances publiques – nous y reviendrons dans le débat d’orientation budgétaire – est beaucoup moins favorable que ce qu'en décrira la lecture des documents budgétaires.

Ma cinquième remarque est relative au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. C’est une proposition absurde que la direction du budget a pratiquement faite depuis vingt ans à tous les gouvernements et que les plus sensés ont toujours refusée ; une proposition absurde dont Philippe Séguin disait, en décembre 2009, quand elle commençait à être appliquée, quand vous vouliez la reprendre : «L'État se révélant incapable d'analyser les besoins et de programmer ses effectifs en conséquence, sa politique du personnel est dictée principalement par des considérations budgétaires de court terme. » Quelle clairvoyance ! « Cette démarche, concluait-il, ne profite qu'aux administrations pléthoriques et sous-productives » : elle ne s'apparente en rien à un effort de productivité.

J'ajoute l'effet catastrophique sur le fonctionnement des services publics. On voit à quel résultat catastrophique aboutit la suppression de 30 000 postes dans la fonction publique, dont la moitié à l’éducation nationale. Cette politique démoralise complètement les agents de l'État. Le rapport que j'ai consacré à la RGPP m'a fourni l'occasion d'auditionner les syndicats : tous nous disent être favorables à un État efficace, mais pas à une politique aussi absurde et aussi méprisante envers les fonctionnaires. Et pour quel résultat ? La Cour des comptes comme le rapport du rapporteur général en montrent bien l'inefficacité : l'économie réalisée n'a jamais atteint le milliard d'euros, ni même les 800 millions d’euros. Avec des mesures catégorielles compensatoires, elle s'établit à 260 millions d'euros, comme l’a indiqué le rapporteur général à la tribune. Comme le rappelle la Cour des comptes, « les économies résultant du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d'État pendant huit ans » sont exactement du même montant que le coût annuel de la baisse de la TVA sur la restauration. J’invite mes collègues siégeant à droite de cet hémicycle à réfléchir à cette remarque. En une journée d'annonce, le Président de la République a augmenté le déficit structurel de l'équivalent de l'application pendant huit ans de cette politique absurde. Et il voudrait nous faire croire aujourd'hui qu'abandonner cette politique ferait exploser la dette !

Puisque le Président de la République évoquait son bilan ce matin, je vais y revenir. II tient en trois mots : une explosion de la dette, une explosion du chômage et une explosion des inégalités.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Hélas !

M. Pierre-Alain Muet. L’explosion de la dette d’abord.

En dix ans, de l'été 2002 à l'été 2012, la dette aura doublé, passant de moins de 900 milliards d’euros à 1 800 milliards d’euros, selon vos propres prévisions. Sur ces 900 milliards d'augmentation de la dette, moins de 100 milliards résultent de la crise.

Sous le quinquennat de Jacques Chirac, la dette aura augmenté de 360 milliards d’euros et sous Nicolas Sarkozy de 560 milliards d’euros. Même si on enlève les 100 milliards dus à la crise, il reste une augmentation qui n'a de précédent sous aucun gouvernement depuis 1945. Le Président de la République, qui a laissé dériver la dette et les déficits dans des proportions qu'aucun gouvernement n'avait jamais réalisées avant lui – même en tenant compte de la crise – est donc particulièrement mal placé pour donner des leçons à la gauche dont le gouvernement a été, au cours de ces vingt dernières années, le seul à avoir réduit la dette et les déficits au sens des critères de Maastricht.

J'ai cherché en quelle année un gouvernement de droite avait réussi à réduire un déficit au-dessous de 2 % du PIB. J'ai le souvenir de celui de Raymond Barre, il y a trente ans, qui avait pratiquement rétabli les comptes à l’équilibre, mais, pour la période récente, je n'ai rien trouvé. Il y a des gouvernements qui ont réussi à limiter le déficit en dessous de 2 % : c'était en 1999, 2000 et 2001, respectivement 1,8 %, 1,5 % et 1,5 %, mais ce n'était pas vous qui étiez alors au pouvoir. Cela s'est également produit en 1989, mais, encore une fois, ce n'était pas vous qui étiez au pouvoir.

Du côté de la dette, les choses sont pires. La dette au sens de Maastricht s'élevait à 42,8 % du PIB à l'été 1993, il y a vingt ans. En quatre ans, les gouvernements Balladur et Juppé l'ont portée pour la première fois au-dessus de 60 %. C'était au deuxième trimestre 1997, elle atteignait alors 60,4 % à la fin du gouvernement Juppé. Le gouvernement Jospin l'a ramenée à 58,5 % au deuxième trimestre de 2002, en dessous des critères de Maastricht. Depuis cette période, elle n'a cessé de progresser, passant à 65,7 % à la fin du quinquennat de Jacques Chirac, puis, à 87 % à l'été 2012 selon vos propres évaluations. Tel est le bilan de Nicolas Sarkozy : plus de vingt points de hausse, un record absolu.

Mes chers collègues, au regard de la situation, la conclusion est claire. Pour réduire la dette et les déficits, il n'est pas nécessaire de changer la Constitution. En revanche, il faut changer de majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. En effet !

M. Pierre-Alain Muet. J’en viens à l’explosion du chômage.

Vous allez nous dire qu’elle est due à la crise. Pourtant, la comparaison avec l'Allemagne – comparaison que vous affectionnez – est éclairante. Comme nous, l'Allemagne a subi la crise – elle en a même plus souffert en 2009 en raison de sa plus grande ouverture au commerce international –, mais, elle a réduit son chômage quand le nôtre a explosé. À l’été 2008, nous avions pourtant le même taux de chômage harmonisé que l'Allemagne, 7,5 %. En 2010, le nôtre a presque franchi la barre des 10 %, et il est encore à 9,4 % en avril 2011.

M. Jean-Michel Fourgous. Vos chiffres sont faux.

M. Pierre-Alain Muet. Je cite toujours des chiffres harmonisés à l’échelle européenne.

L’Allemagne est à 6,1 % et pourtant, elle avait le même taux de chômage que nous en 2008. Pour réduire son chômage, elle n’a pas appliqué la politique absurde de subventions aux heures supplémentaires : elle a réduit le temps de travail en recourant massivement au chômage partiel, le Kurzarbeit– travail réduit –, de sorte qu’aucun salarié n’a été licencié. Et comme les salariés sont restés liés à l'entreprise au lieu de se retrouver au chômage, l'Allemagne a pu, en 2010, retrouver une croissance forte lorsque l’économie a redémarré, 3,5 % contre 1,5 % en France.

J’en arrive enfin à l'explosion des inégalités.

Depuis trente ans, les inégalités se sont creusées dans de nombreux pays avec la mondialisation libérale qui a entraîné une explosion des hauts revenus et des revenus du capital. Mais, toute votre politique a consisté à les accentuer en appliquant – dès le début du quinquennat, avec la loi TEPA – une politique que les économistes des révolutions conservatrices appelaient l'économie du ruissellement : déverser des sommes considérables sur les citoyens les plus aisés, avec l’idée qu’il en retomberait bien quelques gouttes sur les plus modestes, ce qui, évidemment, ne s’est pas produit. Selon les économistes libéraux, une telle politique devait stimuler l’épargne, la croissance et les recettes fiscales. Cela ne s’est vérifié dans aucun pays où elle fut appliquée, ni sous Reagan ni sous Margaret Thatcher, pas plus que sous votre gouvernement. La seule chose que nous ayons observée, c’est que cette explosion des inégalités…

M. Jean-Michel Fourgous.Il n’y a pas eu d’explosion des inégalités ! C’est encore un slogan de gauche !

M. Pierre-Alain Muet.…s’est accompagnée d’une diminution continue des taux de prélèvements sur les plus hauts revenus. Plus on monte dans l’échelle des revenus, plus la fiscalité baisse, tous les analystes de notre système fiscal le savent. Il suffit de considérer l’impôt sur le revenu, mité par une multitude de niches fiscales. Pour les mille plus hauts revenus, on est très loin du taux de 40 % pour le taux marginal : on est seulement à 25 % de taux effectif, et même, pour les dix plus hauts revenus, à moins de 20 %. Preuve en est qu’il faut procéder à une réforme fondamentale de notre fiscalité pour rétablir la justice fiscale.

Depuis dix ans, vous avez fait des cadeaux fiscaux à crédit aux citoyens les plus fortunés : 70 milliards d’euros d'allégements d'impôts sur le revenu ou sur le capital ou sur l'héritage ou sous forme de niches fiscales, dont 40 milliards sous le mandat de Nicolas Sarkozy. La plupart de nos concitoyens n’ont rien vu venir, en revanche. Et pour cause, le taux des prélèvements obligatoires qui devait baisser de quatre points sera exactement, selon vos propres prévisions, au même niveau en 2012 qu'en 2007. Vous vous souvenez sans doute de la promesse du Président de la République de baisser de quatre points les prélèvements obligatoires…

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Jean-Michel Fourgous.Vous, vous avez créé des millions de chômeurs !

M. Pierre-Alain Muet.La baisse aura été pour les plus fortunés ; les autres n’en ont pas vu la couleur. Tel est le résultat de votre politique.

Votre politique aura été la dernière résurgence de ce que l'on appelait les révolutions conservatrices. Vous êtes en effet à contre-courant de ce qu’il conviendrait de faire aujourd’hui et que la crise devrait vous inspirer. Nous avons vécu trente ans de mondialisation libérale, qui s’est caractérisée par une diminution continue de la fiscalité sur les facteurs mobiles, notamment sur le capital. Pour l’essentiel, ce sont le travail ou les facteurs immobiles, les immeubles par exemple, qui ont été imposés avec pour conséquence une explosion des placements financiers sans commune mesure avec l’économie réelle, une dérive complète de la finance et une explosion des inégalités.

M. Jean-Michel Fourgous.C’est faux ! Il n’y a pas eu d’explosion des inégalités.

M. Pierre-Alain Muet. Face à cette situation, il faudrait s’inspirer des décisions de Roosevelt après la crise de 1929.

M. Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Absolument !

M. Pierre-Alain Muet. Car la crise actuelle présente les mêmes caractéristiques. Le parallélisme entre les deux crises est flagrant. La crise de 1929 a été le résultat d’une explosion des inégalités et d’une dérive de la finance. Roosevelt a pris des mesures déterminantes, en mettant en œuvre une véritable régulation du système financier en séparant les banques d’affaires des banques de crédit. Il a instauré un impôt sur le revenu très élevé sur les plus hauts revenus. Il a développé la protection sociale dans un pays où elle n’existait pas, ce fut le New Deal. Ces trois mesures – régulation financière, rétablissement d’une fiscalité réduisant les inégalités de revenus, protection sociale développée – ont été généralisés dans de nombreux pays, européens notamment, et ont conduit aux trente années de forte croissance de l’après-guerre.

Nous devons aujourd’hui nous inspirer de cette politique et de ses trois composantes pour remettre notre économie nationale, ainsi que l’économie mondiale, en marche.

À rebours des discours libéraux qui ont eu cours ces dix dernières années en France, ce qui caractérise une économie développée aujourd'hui, ce n’est pas un État minimal, mais exactement l’inverse. À l'heure de la mondialisation, on peut construire partout dans le monde une usine moderne avec la technologie la plus en pointe. Mais, pour que celle-ci fonctionne efficacement, encore faut-il une main-d'œuvre formée, un système éducatif, un secteur de recherche important, des infrastructures, des investissements publics, de la protection sociale. Pour prendre des risques, il faut avoir la certitude de ne pas être laissé au bord du chemin en cas de difficultés. Bref, il faut tout ce qui constitue un système public ou para-public, en tout cas, avec un financement collectif.

C’est ce qui a été oublié pendant trente ans dans la mondialisation libérale, c’est aussi ce que vous avez complètement oublié ces dernières années. C’est, à mon avis, ce qu’il faut reconstruire dans notre pays comme dans le monde.

Bref, contrairement à ce que l’on entend dans tous les discours libéraux, la solidarité est un véritable facteur d’efficacité économique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)


Intervention de Pierre- Alain Muet à l'Assemblée nationale

Deuxième séance du lundi 27 juin

Débat d'orientation des finances publiques pour 2012

Extrait du compte rendu intégral

 

 

M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me bornerai à quelques remarques générales, avant d’évoquer notre stratégie économique, puisque, au fond, un débat d’orientation budgétaire est l’occasion de confronter des stratégies pour réduire les déficits et retrouver la croissance.

S’agissant de la croissance, vous avez finalement choisi, entre la prévision de 2 % de la Commission et votre hypothèse initiale de 2,5 %, un juste milieu. La Cour des comptes souligne que la prudence voudrait que vous en restiez à la croissance potentielle, à moyen terme, alors même que vous avez toujours affiché 2,5 % de croissance. Après tout, on peut faire une croissance supérieure à la croissance potentielle. On peut même le faire pendant plusieurs années. La preuve en est que nous, nous l’avons fait.

Mais cela suppose une politique spécifique. Et je trouve que l’histoire ne plaide guère en votre faveur. Car j’ai vainement recherché quand la droite avait fait une croissance de 2,5 % au cours des vingt dernières années. Cela n’est jamais arrivé. Peut-être le fera-t-elle un jour.

Quoi qu’il en soit, il faudra expliquer comment on peut faire 2,5 % de croissance alors que les prévisions de la plupart des instituts, y compris les institutions internationales, tournent en moyenne autour de 1,9 % à moyen terme. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Ma deuxième remarque concerne le déficit. La réduction des déficits en 2011 repose très largement sur des mesures ponctuelles et non reconductibles. Autrement dit, on est loin, en termes structurels, de la réduction affichée dans la programmation pluriannuelle. Cela augure mal de la situation que trouvera le gouvernement qui sera nommé en 2012, et ce même s’il est probable que le déficit de 2011 ne sera pas trop éloigné des prévisions. Vous pourrez toujours, monsieur le ministre, vous vanter d’une réduction historique en termes budgétaires, puisque vous avez inclus dans le déficit de 2010 les 34 milliards du grand emprunt, qui ne sont pas un vrai déficit. En effet, il n’y a qu’un milliard de dépenses correspondantes. Ainsi, même si vous ne réduisez pas le déficit, en termes budgétaires, il se réduira de ce montant, du fait de la disparition de cette dépense, déjà comptabilisée dans l’année 2010.

Mais la suite est beaucoup plus difficile. Comme nous le rappelle la Cour des comptes, si l'on conserve une élasticité des recettes à la croissance égale à un, ce qui est raisonnable une fois de retour à une situation économique normale, le déficit en 2013 sera réduit non à 3 % mais à 3,5 % du PIB. C'est dire que si, pour le plus grand malheur des Français, vous restiez au pouvoir, il n’est pas évident que votre politique permette d’atteindre les 3 % en 2013 comme vous l’affichez.

Ma troisième remarque concerne les propos du Président de la République ce matin. Je l’ai entendu dire : ceux qui auront l’idée de revenir sur le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, de revenir sur la réforme des retraites ou de refuser une règle d'or obligeant tous les gouvernements à prévoir un budget en équilibre, ceux-là provoqueront à terme l’explosion de la dette et l’explosion des déficits.

Excusez-moi, mes chers collègues, mais l’explosion de la dette et l’explosion des déficits, c’est vous ! C’est vous depuis dix ans, et surtout depuis cinq ans. Il faut un sacré culot au président qui a laissé exploser la dette et les déficits dans une proportion jamais connue depuis 1945 pour s'exprimer ainsi. Et vous savez très bien qu’autant pour les déficits que pour la dette, la crise n'y est pas pour grand-chose. En 2010, sur 140 milliards d'euros de déficit, 100 milliards sont dus au déficit structurel, et seulement 40 à la crise.

La dette a doublé en dix ans, de 2002 à 2012, passant de 900 à 1 800 milliards d’euros. Cette augmentation de 900 milliards est survenue à hauteur de 360 milliards sous la présidence de Jacques Chirac et de 560 milliards sous celle de Nicolas Sarkozy. Même si l’on retire 100 milliards d’euros dus à la crise, chiffre qui résulte du cumul du déficit de crise tel qu’il est mesuré par la plupart des institutions sur les trois années durant lesquelles nous nous sommes éloignés de la croissance potentielle, même en retirant ces 100 milliards, les années Sarkozy resteront celles d’une augmentation historique de la dette.

Monsieur le ministre, je vous ai entendu évoquer l'objectif de 2 % de déficit en 2014. Nous sommes là encore dans l'incantation car, en trente ans, depuis le gouvernement de Raymond Barre qui avait des finances à l’équilibre, jamais un gouvernement de droite n’est parvenu à faire passer le déficit au-dessous de 2 %. Cela est arrivé plusieurs années mais ce n'était pas vous qui étiez au pouvoir, c'était nous. Il faut parfois rappeler les vérités statistiques, elles ne s’effacent pas.

M. Gaël Yanno. Nous en avons d’autres, des vérités à vous rappeler !

M. Pierre-Alain Muet. L'histoire montre qu'aucun grand pays n'a réduit significativement les déficits par des politiques d'austérité. Et ce n’est pas par la multiplication des politiques d’austérité telle qu’elle se produit en Europe que l’on arrivera à le faire. Cela suppose, autant au niveau national qu’au niveau européen, un dosage subtil des politiques économiques, qui manque cruellement aujourd’hui.

Notre situation est très particulière. Nous connaissons à la fois, depuis la crise, un effondrement de la demande que traduit un taux d'utilisation des capacités de production inférieur au taux normal de près de dix points, huit points en 2012. Nous avons donc un excès d’offre à court terme, mais en même temps, un déficit d’offre compétitive, puisque notre pays enregistre une cinquantaine de milliards de déficit extérieur depuis 2003. Il faut donc une politique à la fois capable de créer de la demande et du pouvoir d’achat à court terme, et de muscler notre économie à moyen terme, tout en réduisant les déficits. A cet effet, il faut agir sur trois leviers : la demande à court terme, l'offre à long terme et la sélectivité budgétaire.

Il faut augmenter les recettes. M. de Courson disait tout à l’heure qu’il était nécessaire de retenir ses amendements sur les niches fiscales, ou au moins de plafonner celles-ci plus fortement. Je rappelle que le groupe socialiste n’a cessé de proposer des amendements en ce sens, tous issus du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. Il y a là une mine d’informations qui nous indiquent que tous ces dispositifs s’annulent souvent les uns les autres en termes d’efficacité économique, et méritent d’être réformés, pas nécessairement supprimés, mais au moins adaptés. Simplement, en piochant dans cette mine, nous pouvons réduire les déficits de façon importante, sans nuire à l’activité économique. C’est ce que nous proposons.

La seule façon de résoudre la question de la demande à court terme, c’est de créer des emplois. Le cycle économique de la France est identique à celui de l’Europe : nous avons les mêmes phases hautes, les mêmes points bas ; nous sommes simplement parfois un peu au-dessus ou en dessous. La différence tient à notre capacité de créer des emplois. Si, dans la période de 1997 à 2002, la croissance était plus forte que dans le reste de l’Europe, 3.2 % au lieu de 2,6 %, c’est parce que la création d’emplois était importante. Cela reste vrai et c’est cela que nous ferons.

Il ne faut donc pas une politique d’austérité comme vous le préconisez, mais une politique qui agisse sur les trois leviers que j’ai indiqués, comme nous l’avions fait dans une situation beaucoup moins grave de nos finances publiques entre 1997 et 2002.

Le Président de la République tente de faire oublier la situation dramatique de nos finances publiques par une opération politicienne qui consiste à prétendre inscrire dans la Constitution des règles que votre majorité a violées tous les jours et que la droite n'a jamais appliquées depuis trente ans. Mais ce n'est ni avec des incantations, ni avec des opérations politiciennes que l’on réduit les déficits. C'est par le courage et la volonté politique. Cette volonté politique a singulièrement manqué à votre majorité depuis 2002 – en matière de réduction des déficits, les faits sont terriblement parlants – et elle a aussi manqué à ce gouvernement depuis 2007. Mais nos concitoyens ont compris que, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, le changement qui s'impose est tout simplement un changement de majorité.