Il faut revoir la copie pour associer justice sociale et efficacité économique

25
Avr
2014

Vous pouvez lire ci-dessous ma tribune parue dans le Monde du 26 avril.

Le gouvernement présente la réduction de 50 milliards des dépenses publiques au cours des 3 prochaines années comme une nécessité au nom du respect de l'objectif des 3 % de déficit. En réalité, cette baisse des dépenses va principalement financer les allègements de cotisations patronales supplémentaires décidés par le Président de la République dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Ce pacte va porter à 30 milliards par an l'ensemble des allègements de prélèvements sur les entreprises, et même 38 milliards en 2017 avec la baisse de l'impôt sur les sociétés et la suppression de la C3S.

Deux chiffres illustrent le poids décisif qu'ont pris ces allègements sur les choix budgétaires d'aujourd'hui. Le déficit de nos finances publiques est en 2013 de 4,3 %. L'écart à l'objectif de 3 % en 2015 est précisément du montant qu'atteindront ces allègements de cotisations (30 milliards représentent 1,5 % du PIB). La seconde comparaison est encore plus éloquente. Le chiffrage des 60 propositions de François Hollande représentait « 20 milliards d'euros à l'horizon 2017 ». Certes, il manquait dans le programme présidentiel des mesures sur la compétitivité et elles sont nécessaires, mais est-il raisonnable qu'elles soient presque deux fois supérieures au coût des 60 engagements du Président au point de bouleverser complètement l'équilibre de notre programme et de devenir l'alpha et l'oméga de la politique économique du gouvernement ?

Ce n'est pas d'abord notre manque de compétitivité qui explique la croissance nulle des 3 années précédentes, en France comme dans la zone euro, mais l'effondrement de la demande dû aux politiques d'austérité européennes. Et si l'Allemagne s'est un peu mieux portée dans cette récession que les autres pays européens, c'est surtout parce qu'elle avait réduit son déficit avant la crise et n'a pas eu à appliquer une telle politique d'austérité pour revenir à l'équilibre budgétaire.

Les allègements de cotisations des entreprises ont des effets favorables sur l'emploi lorsqu'ils sont concentrés au voisinage du SMIC, et sur la compétitivité lorsqu'ils sont concentrés sur l'industrie, qui ne recevra qu'un tiers environ des 30 milliards d'allégements. Pour les entreprises très fortement impliquées dans l'échange international, un allègement de fiscalité peut conduire en effet assez rapidement à une hausse de l'emploi et de l'investissement, en raison des gains de compétitivité qui en résultent. Mais ce n'est pas le cas de la grande majorité des entreprises qui n'augmenteront l'investissement et l'emploi que si les perspectives de débouchés s'améliorent. C'est pourquoi une politique générale d'allègement n'est vraiment efficace que lorsqu'on est déjà sorti de la récession.

En outre, lorsque ces allègements sont financés par une réduction des dépenses, l'effet est dépressif à court terme avant de devenir expansionniste à plus long terme. C'est précisément ce que rappelle le haut conseil des finances publiques en indiquant « Il existe un risque que les effets positifs sur l'emploi et les salaires de la politique d'offre n'atténuent pas les effets négatifs sur l'activité de la consolidation budgétaire ». L'effet positif des allègements est en effet lent à se manifester, alors que la réduction de dépenses exerce un effet dépressif immédiat.

Le gouvernement a raison de conserver le CICE sous sa forme actuelle, car le dispositif est en place et montera pleinement en charge en 2015. En revanche, il serait pertinent d'étaler dans le temps les nouveaux allègements, ce que fait en partie, mais en partie seulement, le plan actuel.

Ma préférence aurait été d'en rester à court terme aux 20 milliards du CICE et dégager des marges pour une réduction plus raisonnable des dépenses, de façon à ne pas compromettre l'investissement des collectivités locales, à préserver le pouvoir d'achat des retraités et des fonctionnaires et à financer un volant plus élevé d'emplois d'avenir, comme je le défends depuis longtemps. C'était le sens de la proposition que nous avions faite dans la lettre adressée au Premier Ministre la semaine dernière.

Une solution susceptible de rassembler la majorité a été esquissée le week-end dernier. Elle consiste à ne pas remettre en cause les chiffres « fétiches» de 50 milliards et de 30 milliards, mais à en étaler la mise en oeuvre. En réduisant la montée en charge des allègements et de la C3S, en recherchant des ressources nouvelles dans la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale abusive, qui sont, par ailleurs, au cœur de l'agenda international, on peut dégager des ressources pour préserver le pouvoir d'achat des petites retraites et les rémunérations des fonctionnaires, ne pas retarder la mise en oeuvre du plan de lutte contre la pauvreté et ne pas compromettre l'investissement des collectivités locales.

Les ménages aux revenus moyens et modestes ont en effet déjà participé au redressement budgétaire avec le gel du barème de l'impôt sur le revenu, la suppression de la demi-part des personnes isolées, et, en 2014, la hausse de la TVA et des cotisations retraites. Préserver le revenu des ménages, et tout particulièrement des ménages modestes, est en outre la meilleure façon de préserver la reprise.

En rééquilibrant en début de période les efforts demandés aux ménages et les avantages accordés aux entreprises dans le contexte d'une reprise encore fragile, on conjugue la justice sociale avec l'efficacité économique, tout en respectant le sentier de réduction des déficits. Pour l'instant, le compte n'y est pas. Espérons que le message exprimé mercredi sera entendu.

Pierre-Alain Muet
Député PS, économiste, Vice-président de la commission des finances