Dans mon intervention sur le Projet de Loi de Finances, je suis revenu sur la situation dramatique de l'Europe, conséquence « des politiques erronées que les dirigeants européens s'entêtent à poursuivre, bien qu'il soit évident que ce sont des mauvais remèdes » comme le rappelait l'éditorial du New York Times du 17 août.
Ces mauvais remèdes sont un cocktail de politiques économiques faites de coupes massives dans les dépenses publiques, de baisses du coût du travail, et, dans les pays d'Europe du Sud, de baisses des salaires. Un cocktail qui a plongé l'Europe dans la dépression et dans la déflation. Cette politique est la négation de ce qu'a été l'Union européenne depuis sa création : une Europe qui grâce à la solidarité (notamment les fonds structurels) a toujours tiré vers le haut tous les pays qui la rejoignaient. C'est la première fois dans l'histoire, depuis les déflations des années trente, que l'Europe fait un ajustement par le bas qui est le contraire de ce qu'elle a su faire pendant plus d'un demi-siècle.
Dans la suite de cette note, le texte de mon intervention...
Projet de loi de finances pour 2015
Deuxième séance du mardi 14 octobre
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, chers collègues,
« Personne ne devrait être surpris que l'Europe retombe dans le marasme. C'est le résultat entièrement prévisible des politiques erronées que les dirigeants européens s'entêtent à poursuivre, bien qu'il soit évident que ce sont des mauvais remèdes. » Cette phrase n'est pas de moi, elle est tirée de l'éditorial du New York Times du 17 août. Elle résume le diagnostic que l'on peut porter sur ces trois années de politiques européennes qui ont enfoncé l'ensemble de l'Europe dans la dépression. Ces politiques erronées sont un cocktail de politiques économiques faites de coupes massives dans les dépenses publiques, de baisses du coût du travail, et, dans les pays d'Europe du Sud, de baisses des salaires.
Ce sont des politiques qui, quand on les applique seul peuvent produire des résultats. Si vous êtes le seul à réduire les dépenses publiques, vous redresserez les finances publiques, car la croissance des autres vous permettra de dégager des recettes et, par conséquent, de réduire votre déficit. Mais lorsque tout le monde le fait, il se passe ce qui s'est passé en Europe : l'effet dépressif est tellement fort, le multiplicateur, comme nous le rappelle le FMI, est tellement élevé, que l'on perd en croissance, et donc en recettes, ce que l'on croit avoir gagné sur les dépenses.
C'est la même chose pour les politiques d'ajustement du coût du travail. Si vous êtes le seul à mener une telle politique, vous améliorez votre compétitivité, mais en compliquant la vie de votre voisin. Lorsque tout le monde le fait, les effets « compétitivité » à l'intérieur de l'Europe s'effacent __ il en reste à l'extérieur __ et les prix baissent. C'est la déflation. Lorsque l'on mélange ce cocktail, on arrive à la situation européenne : une dépression, une récession forte. Il n'y a plus de croissance, et plus d'inflation.
J'ai beaucoup entendu citer M. Schröder. Je ne suis pas un admirateur de l'ancien chancelier, mais je rappelle qu'il a mené une politique de redressement de la compétitivité allemande quand les autres pays ne le faisaient pas, de 2002 à 2004. Durant cette période, il n'a pas réduit les dépenses, il a laissé le déficit se creuser. Ce n'est qu'après, et heureusement pour l'Allemagne, avant la crise, que le déficit a été réduit. On ne peut pas répliquer à l'échelle européenne des politiques qui peuvent avoir une efficacité lorsqu'on est seul à les conduire.
M. Jean Lassalle. Eh oui !
M. Pierre-Alain Muet. Le drame, c'est que ce qu'a produit l'Europe, dans cette période qui ressemble étrangement, et de façon inquiétante, aux déflations des années trente, c'est la négation même de ce qu'elle a été. Quand l'Europe a intégré des pays comme le Portugal ou l'Espagne, on redoutait que les salaires ne baissent dans les autres pays.
Cela ne s'est jamais produit parce que la solidarité a joué et que les fonds structurels ont fonctionné. Tous les pays ont été tirés vers le haut. C'est la première fois de l'histoire depuis, malheureusement, les déflations des années trente, que l'Europe fait le contraire de ce qu'elle a fait durant un demi-siècle : un ajustement par le bas.
Il faut mener une réflexion profonde sur la situation européenne. Je salue le fait que le Gouvernement, notamment depuis l'entretien que le Président de la République a accordé au journal Le Monde au mois d'août, dans lequel il explique que le problème de demande au sein de l'Europe est la conséquence des politiques d'austérité qui ont été conduites, porte ce discours. Il est essentiel d'inverser les politiques européennes et de retrouver un peu de solidarité. Ce sera la meilleure façon de renouer avec la croissance.
Un mot sur la situation nationale. Là aussi, le discours a changé : le Gouvernement va moins vite dans la réduction des déficits. C'est évidemment ce que doivent faire les autres pays européens. Nous n'avons pas à nous excuser vis-à-vis de l'Europe. Si quelqu'un doit présenter ses excuses, c'est bien la Commission européenne, qui a plongé l'ensemble de l'Europe dans une récession qui n'a qu'un seul précédent dans l'histoire.
Si nous voulons sortir de cette récession, il nous faut ajuster notre politique économique. Je n'ai pas le temps de développer, mais je pense que si l'on consentait moins d'allégements et que l'on réduisait moins les dépenses, notre politique serait plus équilibrée. En revenant à l'objectif essentiel d'inversion de la courbe du chômage que portait le Président de la République, en agissant massivement sur les emplois aidés, nous parviendrions à sortir de la récession, car lorsque vous créez un emploi d'avenir, vous donnez de la confiance et du revenu, deux choses qui manquent à notre économie.
Un dernier point, soulevé par Michel Sapin dans son intervention : l'investissement est le pont entre le présent et le futur. Oui, l'investissement relance la demande à court terme, et l'offre à long terme,. C'est pourquoi il faut le soutenir, notamment l'investissement des collectivités locales.
En conclusion, ne nous trompons pas d'époque ! La modernité, ça n'est pas ajuster notre idéal de solidarité à une mondialisation libérale qui a échoué. La crise de 2008, c'est l'explosion des inégalités, la crise européenne, ce sont les égoïsmes nationaux. Nous devons réaffirmer ce que nous sommes, à gauche. Le principe de solidarité, que nous portons depuis toujours, voilà la vraie réponse à la crise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)