Le conseil des Ministres vient d'adopter avec la loi dite Macron une extension du travail dominical faisant passer de 5 à 12 les dérogations possibles au repos dominical.
Lorsque la droite avait envisagé en décembre 2008 d'étendre le droit à l'ouverture des commerces le dimanche, j'avais signé avec 122 députés de gauche une tribune dans Libération pour m'opposer à cette extension.
Lors de la discussion de cette proposition de loi en juillet 2009, je soulignais lors de la discussion générale du texte le mercredi 8 juillet que « dépenser le dimanche le revenu que l'on n'a pas dépensé dans la semaine n'a jamais créé de pouvoir d'achat, ce déplacement de la consommation n'aura qu'un seul effet: développer les grandes surfaces commerciales au détriment du commerce de centre-ville», remettant en cause toute la politique que j'avais conduite à Lyon, lorsque j'étais adjoint au Maire chargé de l'économie, pour préserver le commerce de proximité.
Tout au long du débat jusqu'au vote final, j'ai dénoncé une Loi qui remettait en cause « un droit séculaire, qui plonge ses racines au cœur même de notre civilisation et fonde l'équilibre de notre société : préserver un temps commun pour la vie familiale, associative, sportive, culturelle ou spirituelle » (explication de vote individuelle du vendredi 10 juillet).
Je n'ai pas changé d'avis sur ce sujet. J'espère que le gouvernement réalisera à temps que de nombreux députés socialistes n'accepteront pas plus que moi de voter un texte qu'ils ont fortement combattu quand ils étaient dans l'opposition.
En photo: l'une des affiches du Groupe PS à l'Assemblée en 2009. Vous pouvez lire ci-dessous mes interventions de juillet 2009 sur ce sujet.
Interventions de Pierre-Alain Muet à l'Assemblée nationale lors du débat sur le travail dominical les 8 et 10 juillet 2009
Discussion générale (mercredi 8 juillet, 2ème séance)
M. Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comment expliquer l'obstination qui pousse le Président de la République à forcer la main de sa majorité pour lui imposer l'ouverture des commerces le dimanche, qui est, chez lui, une véritable obsession ?
S'agit-il d'un impératif économique ? Non – j'y reviendrai.
S'agit-il d'une demande de nos concitoyens ? Non plus. Le sondage publié hier dans Libération révèle ainsi que 55 % des Français sont opposés à cette mesure et que 86 % d'entre eux considèrent le dimanche comme un jour fondamental pour la vie familiale, sportive, culturelle ou spirituelle.
S'agit-il de mettre fin à une exception française en Europe ? Non. Mes collègues Gérard Bapt et Marcel Rogemont ont rappelé que la France est le pays où l'on travaille le plus le samedi et qu'elle figure parmi les pays européens où l'on travaille le plus le dimanche.
S'agit-il de répondre à une demande des partenaires sociaux ou des associations de commerçants ? Non. Les syndicats y sont tous opposés, de même que la CGPME, la Confédération des commerçants de France et la Fédération française des associations de commerçants, qui dénoncent tous une loi qui détruira des emplois.
C'est d'ailleurs l'opposition des partenaires sociaux à une telle mesure qui vous a conduit à choisir une initiative parlementaire, plutôt qu'un projet de loi, car elle vous permet de contourner l'obligation de les consulter. Comment prétendre développer le dialogue social dans notre pays et le contourner sur chaque sujet majeur ?
M. Jean-Claude Sandrier. C'est idéologique !
M. Pierre-Alain Muet. Surtout, on peut s'interroger sur ce qui a poussé un certain nombre de nos collègues de l'UMP farouchement opposés à la généralisation du travail dominical à prêter la main à cette opération en signant cette proposition de loi.
M. Roland Muzeau. Ils sont allés à Canossa !
M. Pierre-Alain Muet. Car si cette quatrième mouture prétend, avec un titre trompeur, n'autoriser le travail du dimanche que dans quelques zones et sur la base du volontariat, la réalité est tout autre. En faisant sauter tous les verrous que le législateur avait posés pour limiter le travail le dimanche, notamment dans les communes touristiques, elle ouvre la porte à une généralisation du travail dominical dans un très grand nombre de communes, notamment dans toutes les grandes agglomérations, telles que Paris, Lyon – oui, Lyon –, Marseille, Nantes, Toulouse.
Cette proposition de loi est en réalité le cheval de Troie du démantèlement d'un droit fondamental : le droit au repos dominical. Un droit séculaire, qui plonge ses racines au cœur même de notre civilisation et qui fonde l'équilibre de notre société.
M. Jean-Claude Sandrier. Instauré par l'empereur Constantin en 321 !
M. Pierre-Alain Muet. Avions-nous besoin d'une nouvelle législation ? Non. Je ne suis pas de ceux qui pensent que, chaque fois que la loi est contournée, il faille l'affaiblir en légalisant l'illégalité. Il est vrai que le mauvais exemple vient du sommet de l'État. Relève-t-il des attributions d'un Président de la République de faire ouvrir les boutiques des Champs-Élysées pour l'épouse d'un chef d'État en visite à Paris ? Est-il acceptable que des ministres fassent l'éloge de chaînes commerciales qui développent leur activité en toute illégalité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La législation actuelle est équilibrée. Elle autorise les activités indispensables – hôpitaux, transports en commun –, celles qui répondent aux besoins spécifiques du public – commerces alimentaires, hôtels, cafés, restaurants, fleuristes, musées – et, dans les zones touristiques où cette ouverture est nécessaire, elle limite étroitement les autorisations aux commerces concernés et aux périodes touristiques. Enfin, elle autorise des périodes d'ouverture exceptionnelles, accordées par le maire et limitées à cinq dimanches par an, ce qui correspond largement aux besoins de nos concitoyens comme aux souhaits des associations de commerçants.
Adjoint au maire de Lyon chargé de l'économie et du commerce pendant sept ans, je n'ai jamais eu à répondre à plus de trois ou quatre demandes d'ouverture dominicale exceptionnelle de la part des associations de commerçants.
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles. Cela ne changera pas demain !
M. Pierre-Alain Muet. Et, contrairement à ce que j'entends, je ne pense pas que Lyon soit, à cet égard, une exception. Certes, après avoir tenté de passer de cinq à huit, vous avez reculé sur ce point, mais pour mieux faire avaler à la majorité le texte dont nous discutons aujourd'hui.
Un premier accroc a été porté à l'équilibre de la législation par la loi qui a autorisé l'ouverture le dimanche pour les commerces de détail d'ameublement. Avec la présente proposition de loi, vous introduisez deux brèches majeures. Vous faites sauter toutes les contraintes d'ouverture dans les communes et les zones touristiques. Dans toutes ces zones, l'ouverture des commerces le dimanche sera de plein droit, sans aucune contrepartie pour les salariés. Il n'y aura ni volontariat, ni salaire doublé, ni repos compensateur.
À l'occasion de la parution, en mars de cette année, du décret d'application de la loi d'avril 2006 redéfinissant la notion de commune touristique, la lettre du cadre territorial indiquait qu'« il existe aujourd'hui 3 500 communes touristiques et que le potentiel est de 6 000 communes à vocation touristique en France ». Avec 6 000 communes, dont toutes les grandes agglomérations, nous ne sommes pas loin de la majorité de la population française.
Vous nous répondez qu'au sens du code du travail, les communes touristiques sont moins nombreuses, mais il y en a tout de même 500, dont toutes les grandes villes, y compris la mienne, Lyon, qui est commune touristique depuis 1921 – il ne s'agit pas d'une simple zone touristique au sein de la commune, mais de la commune tout entière. En outre, les conditions pour être classées communes touristiques au sens du code du travail étant moins exigeantes, il y en aura potentiellement beaucoup plus !
À qui ferez-vous croire sérieusement qu'un préfet amené à se prononcer sur la demande d'un maire pour classer sa commune en commune touristique au sens du code du tourisme pourrait refuser de le faire au sens du code du travail, lequel est moins exigeant sur les critères touristiques ? Vous êtes tellement embarrassés par cette évidence que vous avez introduit hier matin un amendement tendant à substituer à la formule « commune touristique » la formule « commune d'affluence touristique ». Il y aurait ainsi, en France, des communes touristiques qui n'auraient pas d'affluence touristique. On est en plein délire !
La seconde brèche concerne l'ouverture dominicale dans les « périmètres d'usage de consommation exceptionnel », qui concerne les quatre unités urbaines de plus d'un million d'habitants. Contrairement à ce que vous dites, la ville de Lyon est évidemment concernée par ce texte, même si l'exposé des motifs indique qu'« il n'existe pas d'usage de consommation le samedi et le dimanche dans l'agglomération lyonnaise ».
M. Jean Mallot. Ils vont le créer, l'usage !
M. Pierre-Alain Muet. Sur quelle base peut-on affirmer qu'« il n'existe pas », à Lyon, d'« usage de consommation de fin de semaine » ? Ce n'est évidemment pas vrai du samedi, où le commerce lyonnais réalise plus de 40 % de son chiffre d'affaires hebdomadaire. Quant au dimanche, il suffira qu'un commerce d'ameublement ouvre le dimanche dans l'aire urbaine de Lyon, pour qu'une autre enseigne fasse un recours en arguant des différences de traitement avec Paris et Marseille et elle sera sûre de gagner. Je trouve que mes collègues lyonnais de l'UMP qui étaient opposés à l'ouverture dominicale ont été bien imprudents de signer ce texte.
Mme Pascale Crozon. Absolument !
M. Pierre-Alain Muet. Cette proposition de loi, dont le but initial était de légaliser des pratiques illégales dans les agglomérations parisienne et marseillaise, ouvre une véritable brèche dans le principe du repos dominical.
Pour quel impact économique ? Dépenser le dimanche le revenu que l'on n'a pas dépensé dans la semaine n'a jamais créé de pouvoir d'achat. Ce déplacement de la consommation n'aura qu'un seul effet : développer les grandes surfaces au détriment du commerce de centre-ville.
M. Jean-Claude Sandrier. Eh oui : déplacer la consommation !
M. Pierre-Alain Muet. Non seulement cela aura, à terme, un impact négatif sur l'emploi, car les artisans et commerçants de proximité emploient en moyenne trois fois plus de personnel que les grandes surfaces. Mais ce sera surtout ravageur pour l'équilibre de nos agglomérations, car cela remettra en cause tous les efforts que nous menons dans nos villes pour préserver le commerce de centre-ville.
Pour satisfaire le marché, hier vous précarisiez le salariat, aujourd'hui vous sacrifiez les dimanches. Demain, vous continuerez à démanteler le modèle social français. La loi de 1906 sur le repos dominical, adoptée à la quasi-unanimité du Parlement, rassemblait ceux qui luttaient pour l'émancipation des salariés comme ceux qui voulaient que les valeurs spirituelles, qu'elles soient religieuses ou philosophiques, ne disparaissent pas au profit du seul intérêt matériel. Elle est encore pleinement d'actualité aujourd'hui, à un moment où un quart de siècle de mondialisation libérale a conduit l'économie mondiale dans le mur.
Pour satisfaire les intérêts mercantiles d'une petite minorité, vous êtes en train de mettre en danger les fondements même de notre société. Que deviendront les activités associatives, sportives, culturelles et spirituelles quand l'économie aura envahi l'ensemble de la sphère privée ?
Monsieur le ministre, il est profondément choquant d'entendre tenir de grands discours sur le programme du Conseil national de la résistance et vanter les mérites du modèle social français, par ceux-là même qui passent leur temps à le démanteler !
Mes chers collègues, n'inscrivons pas dans la loi des dispositions qui feront éclater demain ce bien commun essentiel à l'équilibre de notre société qu'est le repos dominical. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Explications de vote individuelles (vendredi 10 juillet 22 heures)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. À travers cette proposition de loi, vous introduisez le cheval de Troie du démantèlement d'un droit fondamental : le droit au repos dominical. Ce droit a des racines profondes au sein de notre civilisation. Il est nécessaire à l'équilibre de notre société.
Notre législation était équilibrée. Vous la déséquilibrez de deux façons. D'abord vous faites sauter, dans les zones touristiques, toutes les contraintes qu'avait posées le législateur pour éviter une dérive totale. Alors que l'ouverture des commerces le dimanche n'était autorisée que pendant les périodes touristiques, vous êtes parvenus à la généraliser dans un très grand nombre de communes : 6 000 peut-être plus, parce que la législation est suffisamment floue pour s'appliquer à de nombreuses communes.
Les PUCE concerneront quatre grandes agglomérations et je dis bien quatre. En effet, en tant que député de Lyon, je sais parfaitement que cette ville est également concernée même si l'exposé des motifs prétend le contraire. Entre les PUCE et la généralisation des zones touristiques, vous allez, petit à petit, remettre fondamentalement en cause le droit au repos dominical.
Vous justifiez cette décision en invoquant des raisons d'ordre économique, or il n'y en a aucune ! C'est un simple déplacement de la consommation. Le revenu qui ne sera pas dépensé pendant la semaine le sera le dimanche. Certes, les grandes surfaces ouvertes le dimanche augmenteront leur chiffre d'affaires, et ce au détriment du commerce de centre-ville. Cela aura pour effet de réduire les emplois dans le commerce parce que le nombre d'emplois pour un chiffre d'affaires donné dans le commerce de centre-ville est beaucoup plus fort que celui des grandes surfaces. Cela aura aussi comme conséquence, comme le soulignait Marylise Lebranchu, de faire disparaître peu à peu le commerce de centre-ville alors que nous tous, élus locaux, à travers le FISAC, par exemple, veillons à ce que ce type de commerce puisse reprendre et se développer parce qu'il est fondamental pour la qualité de vie.
Votre texte correspond-il à une demande ? Non ! Les associations de commerçants sont contre. À Lyon, mais c'est vrai partout en France, elles y sont toutes opposées. Les syndicats sont contre. Vous le savez tellement bien que vous avez évité de les consulter en préférant la formule de la proposition de loi à celle du projet de loi. Les citoyens sont contre.
En tant que député du centre-ville de Lyon, profondément attaché au repos dominical, je pense que mes collègues lyonnais de l'UMP, d'ailleurs absents, et qui étaient tous opposés aux précédentes moutures de la proposition de loi sur l'ouverture des commerces le dimanche, regretteront sans doute à terme d'avoir mis le doigt dans cet engrenage. Je sais, en effet, que nombre d'entre eux étaient opposés à la généralisation de l'ouverture des commerces le dimanche. Ce sera le résultat de cette proposition de loi.
En somme, pour des intérêts mercantiles de quelques grandes surfaces, vous remettez en cause un principe fondamental, un principe nécessaire à l'équilibre de notre société : avoir du temps pour la vie associative, sportive, culturelle et spirituelle. En laissant la sphère économique envahir totalement la sphère privée, vous mettez le doigt dans un engrenage qui conduira, peu à peu, notre pays à perdre une bonne partie de l'équilibre qu'il avait su construire au cours du temps. Quand on sait que la loi de 1906 a été adoptée à l'unanimité et qu'elle rassemblait ceux qui étaient attentifs à l'intérêt des travailleurs et ceux qui voulaient qu'un jour par semaine serve à accomplir autre chose qu'une activité économique, vous prenez un grand risque ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)