Lors du débat sur le collectif budgétaire, j'ai défendu avec Patrick Bloche un amendement pour déplafonner la taxe perçue au profit du CNV (Centre national de la chanson, des variétés et du jazz). Car, pour le CNV comme pour le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée), cette taxe n'est pas un impôt d'Etat mais un autofinancement de la création par le secteur professionnel concerné. L'État est là simplement comme intermédiaire pour assurer le bon fonctionnement du dispositif. Il n'a donc pas de légitimité à opérer un quelconque prélèvement à son profit sur cette taxe, ni à la plafonner. Par ailleurs je suis intervenu pour m'opposer aux amendements de l'opposition visant à supprimer le crédit d'impôt en faveur de la production phonographique (vidéo).
Dans la suite de cette note, mon interview à News tank culture sur ces différents sujets et sur le soutien à la culture.
Interview Pierre-Alain Muet
(par Romain Berrond)
Vous avez défendu l'article 23 du PLFR (projet de loi de finances rectificative) 2014, qui prévoit la prolongation et l'élargissement du crédit d'impôt à la production phonographique. Pourquoi cette prise de position, dans un contexte de réduction des déficits publics ?
Deux raisons à cela. La première est que les sommes qui sont ici en jeu sont infimes. On parle d'un coût pour l'Etat de 13 millions d'euros par an. C'est une goutte d'eau dans l'océan de nos déficits. De plus, ce crédit d'impôt est plutôt bien calibré. Malgré les aménagements qui sont consentis, on reste dans la philosophie générale qui était celle du dispositif à l'origine : le soutien des PME (petites et moyennes) dans leur action de création culturelle. Enfin, l'amendement du rapporteur général au PLFR 2014, qui prévoit d'encadrer l'une des nouvelles dispositions du crédit d'impôt, à savoir la prise en compte de la rémunération du dirigeant du label, ne brise en rien la dynamique du mécanisme.
Ensuite, le maintien de ce crédit d'impôt est légitime car il s'agit d'un dispositif qui participe de l'exception culturelle française. La culture ne doit pas être traitée de la même manière que d'autres secteurs, ce qui a toujours été affirmé en France, et particulièrement par la gauche.
Pour autant, Gilles Carrez, opposé au renouvellement de ce crédit s'impôt, a dénoncé son « inefficacité » en pointant les conclusions du rapport du Comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, selon lequel « le dispositif ne produit pas les effets escomptés ». Que lui répondez-vous ?
J'ai lu ce rapport, dont les conclusions critiquent notamment un crédit d'impôt qui ne bénéficie qu'à peu d'entreprises (18 entreprises en 2008 et 24 en 2009) et qui ne parvient pas à inverser le déclin des nouveaux talents engagés par les maisons de disque. Mais cette évaluation est ancienne puisque le crédit d'impôt concerne aujourd'hui une centaine d'entreprises. Il conviendrait d'ailleurs de la réactualiser afin que ce crédit d'impôt soit mieux calibré. Le problème avec les crédits d'impôt, c'est que pour être efficaces, ils ne doivent pas être modifiés systématiquement. Or, celui-ci a été modifié à trois reprises. Voilà pourquoi une nouvelle évaluation serait nécessaire pour l'optimiser. Et en même temps, le secteur musical est confronté à de vrais bouleversements, le chiffre d'affaires a baissé de 65 % entre 2002 et 2014. Ce n'est donc pas un secteur stable auquel on peut appliquer des mesures qui peuvent rester constantes.
En attendant on ne peut que se réjouir du recentrage opéré pour que les PME en soient les premières bénéficiaires.
Les producteurs de spectacles, notamment au sein du Prodiss, font valoir que leur rôle dans le démarrage de carrière est tout aussi important que celui des producteurs de phonogrammes, et estiment donc que les dépenses qu'ils consentent pour cela devraient également pourvoir être couverte par un crédit d'impôt similaire. Qu'en pensez-vous ?
Il est prématuré d'envisager un tel élargissement. Or, j'aime fonder mes propositions sur des études robustes. Toutefois, je pense, de manière générale, qu'il y a besoin de soutenir la culture notamment en temps de crise. Les sommes qui y sont investies par la puissance publique sont totalement dérisoires au regard de la nécessité de réduire les déficits. Et la culture justifie l'investissement qu'on lui consent. On rapporte l'anecdote – sans doute enjolivée – où lorsque le Chancelier de l'échiquier britannique proposa à Churchill de réduire les crédits de la culture pour financer l'effort de guerre il répondit « mais alors pourquoi nous battons nous ? », rappelant ainsi que la culture est l'investissement le plus fondamental d'une société.
Vous avez également déposé, dans le cadre du PLFR 2014, un amendement, avec Patrick Bloche (PS-Paris), visant à déplafonner la taxe perçue par le CNV (Centre national de la chanson, des variétés et du jazz). Quelle en est la logique ?
C'est un principe général. Pour le CNV comme pour le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée), j'ai toujours considéré que la taxe qui est perçue n'est pas un impôt que l'État prélève mais un outil qui sert à autofinancer un secteur professionnel. L'État est simplement là pour s'assurer que cela est fait correctement. Il n'a donc pas, selon moi, à opérer un quelconque prélèvement sur cette taxe ni de légitimité à la plafonner. C'est au secteur de définir ce qui est utile. Rendons-nous compte de ce qu'un tel mécanisme a permis de développer dans le cinéma français, le seul à réellement exister au plan européen, avec un nombre incroyable de nouvelles œuvres produites chaque année. L'amendement que je propose avec Patrick Bloche va dans le même sens que ce que j'ai défendu pour le cinéma dans mon rapport. Mon argumentation est inattaquable sur le plan économique.
Vous indiquez dans votre rapport que les investissements culturels sont « parmi les investissements les plus rentables pour les territoires ». Sur quels éléments vous appuyez-vous ?
Sur de nombreuses études. Plusieurs démontrent que la rentabilité d'un grand projet culturel pour un territoire représente deux à trois fois la dépense initiale. Voilà pourquoi en période de crise il me semble tout à fait essentiel de ne pas sabrer dans les projets culturels. Je me suis par exemple battu pour que soient maintenus les investissements pour la Philharmonie, car je suis convaincu que nous avons besoin d'une philharmonie comparable à celle d'autres grandes villes européennes. Lorsqu'on analyse ces investissements, on voit qu'ils sont tout à fait capitaux pour l'attrait d'un territoire. Si l'on examinait la rentabilité économique et sociale du Guggenheim Bilbao pour la ville, on trouverait probablement un chiffre impressionnant bien supérieur à tout investissement du secteur économique. Ce musée a changé le paysage de la ville. Sans ce musée, Bilbao conserverait encore l'image d'une ville qui a eu une reconversion industrielle difficile. Lens, avec son Louvre, participe de la même dynamique. L'impact économique de la culture est décisif. Cette dernière est en outre avec l'éducation, le pilier d'une société.
Quel doit être, dans ces conditions, le niveau du budget alloué par l'Etat à la Culture ?
J'ai fait, pendant la primaire du PS à l'élection présidentielle de 2012, partie des soutiens de Martine Aubry. Elle proposait alors d'augmenter de 50 % le budget consacré à la Culture. Cela n'était ni déraisonnable ni irréaliste, car ce budget représente une toute petite partie du budget d'un Etat. Or, pour des économies de bout de chandelles, on discute et on revoit aujourd'hui à la baisse ses crédits alors qu'on n'hésite pas, à la moindre révolte des « pigeons », à « lâcher » 800 millions d'euros. Je suis partisan de la réduction des déficits, bien évidemment, mais nous sommes, malgré cet objectif, parvenus à préserver le budget de l'Education, pilier fondamental. J'estime que pour la Culture, il doit en être de même. Rappelons-nous que pendant les quatre premières années du premier mandant de François Mitterrand, le budget alloué à la culture a doublé et que cela n'a aucunement grevé le budget de l'Etat.
Vous insistez également, dans votre rapport, sur la préservation des crédits alloués au spectacle vivant. Quelle est la logique qui prévaut ?
Oui, j'insiste sur ce point en rappelant un principe qui me semble essentiel : ce secteur est régit par ce que les économistes appellent la « loi de Baumol ». Lorsque vous jouez « La Flûte enchantée », il faut autant de travail pour réaliser cet opéra aujourd'hui qu'à l'époque de Mozart. Or, la quantité de travail produite dans l'industrie est aujourd'hui 20 fois supérieure à celle qu'elle était à l'époque de Mozart, et les salaires ont été multipliés par 20. Ce qui veut dire que le coût de production d'un tel opéra a été multiplié par 20, environ. Donc sans aide publique, il parait impensable de pouvoir produire des projets culturels tels que les opéras, par exemple.
Même en jouant sur le prix du billet ou l'augmentation du nombre de séances, vous ne parviendrez jamais à rattraper l'augmentation des coûts. Cela veut dire qu'il faut accepter des financements publics, et surtout des financements croissants. On ne peut pas dans ce domaine se limiter à une vision comptable.
Vous insistiez également lors de votre intervention lors de la 48e conférence de Pearle à Lyon sur l'importance du régime de l'intermittence. Qu'attendez-vous de sa réforme, engagée par le premier ministre Manuel Valls ?
C'est un sujet délicat. Certains syndicats défendent le fait que ce régime doit rester une simple assurance-chômage. Je pense que cela va au-delà, qu'il s'agit d'un régime spécifique. Lorsqu'un intermittent ne travaille pas, on ne finance pas un chômeur, on rétribue quelqu'un qui nourrit des projets. Il faut accepter cela comme une contribution à la création culturelle, dans une économie de projet, de création, qui ne peut fonctionner avec le salariat traditionnel. Il faudrait que l'Etat aille jusqu'au bout de sa logique en acceptant de contribuer à cette part du déficit – faible, autour de 300 millions – qui traduit cette spécificité du régime de l'intermittence. Il faut aussi corriger les abus notamment lorsque qu'une grande entreprise audiovisuelle utilise ce régime pour des salariés permanents qui pourraient être requalifiés en CDI. Mais ce régime est essentiel car il fait partie de l'exception culturelle.