Vous pouvez lire ci-dessous mon discours à la Conférence des parlements de l'Union européenne (Bruxelles, Parlement européen, 4 février 2015):
La dernière table ronde de ces journées parlementaires européennes est consacrée au renforcement de la dimension sociale de l'union monétaire. On ne peut pas évoquer aujourd'hui la dimension sociale sans revenir sur ce qui a été l'essentiel de notre débat au cours de ces journées : comment sortir de la récession que nous avons laissée se développer au cœur même de l'Europe.
Car la première condition pour renforcer la dimension sociale de l'union monétaire, c'est notre capacité, au sein de l'union, à conduire des politiques macroéconomiques qui préservent l'ensemble des objectifs d'une politique économique : la stabilité financière certes, mais aussi l'emploi, la croissance, la cohésion sociale. Une politique qui permette d'éviter ce que nous avons connu : plus de 6 millions de personnes perdant leur emploi, le PIB de certains de nos états-membres amputé de plus de 25 %, le taux de chômage des jeunes atteignant des niveaux insupportables dans certains de nos états.
La crise européenne montre que la coordination par des règles budgétaires n'est pas suffisante et qu'il est indispensable au sein de l'union monétaire de bâtir un diagnostic macroéconomique partagé pour adapter l'ensemble de nos politiques nationales à la situation globale de la zone Euro. Comme l'a rappelé le Président Jean-Claude Junker au cours de cette conférence, nous avons besoin d'un véritable gouvernement économique de la zone euro.
Dans la plupart des pays européen, nous avons appliqué des politiques d'austérité pour redresser les finances publiques et des politiques de baisse du cout du travail pour redresser la compétitivité. Ces politiques peuvent aboutir à des résultats positifs quand un pays est seul à les conduire. Mais quand tout le monde le fait en même temps, le résultat est ce que l'on a connu : la récession et la déflation.
Lorsqu'un pays est seul à pratiquer une politique de consolidation budgétaire, l'effet récessif est en partie compensé par la croissance de ses partenaires, de sorte que le cout social reste limité et que le maintien de la croissance permet bien de réduire le déficit public. Mais quand tout le monde le fait en même temps, l'effet dépressif en efface largement les effets favorables sur les déficits et le coût social - notamment en termes de chômage - devient considérable.
De même, un pays peut effectivement redresser sa compétitivité en baissant ses coûts salariaux, mais il améliore sa compétitivité en compliquant la situation de ses partenaires. Si tout le monde le fait en Europe, le résultat s'annule sur la compétitivité intra-européenne ; il ne reste que la baisse généralisée des prix, c'est-à-dire la déflation !
On rate ainsi toutes les cibles que l'on se fixait : le chômage augmente, le déficit public se réduit peu et comme on n'a ni croissance ni inflation, la dette continue à croitre. C'est la réplique, 80 ans plus tard, de ce qui s'était déjà passé dans les années 30 avec les politiques de déflation en Europe.
Et que dire des contraintes imposées à la Grèce par la Troïka qui sont aux antipodes de la solidarité qui a toujours été la marque de la construction européenne.
Car l'Union européenne, qui a su tirer vers le haut pendant des décennies tous les pays qui l'ont rejoint, fait l'inverse depuis 3 ans. Quand l'Espagne et le Portugal sont entrés dans l'Union européenne, beaucoup craignaient que la concurrence salariale tire les salaires des pays les plus développés vers le bas ou engendre de fortes délocalisations. Cela se serait peut être produit si l'Europe n'avait été qu'un grand marché. Mais il y a avait heureusement les mécanismes de solidarité comme les fonds structurels qui ont favorisé l'investissement et la modernisation des nouveaux états-membres, de sorte que la convergence s'est faite vers le haut.
Si nous voulons éviter qu'un ajustement vers le bas se reproduise, alors il faut proscrite des politiques non coopératives en privilégiant des politiques de compétitivité par l'innovation qui bénéficient à tous ; il faut mettre en place des salaires minima différenciés par pays pour lier le progrès social et les gains de productivité ; il faut s'interroger sur la possibilité de développer un premier pilier européen de l'assurance chômage pour mettre en place un mécanisme de solidarité conjoncturelle au sein même de l'union monétaire. Il faut enfin faire en sorte que notre Europe redevienne un espace de solidarité et non un grand marché mettant les Etats en concurrence les uns contre les autres.
La dimension sociale des politiques économiques devrait être prise en compte tout au long du semestre européen et pas seulement lors de l'examen annuel de croissance. Et pourquoi ne pas consacrer une partie des réunions des ministres du travail, de l'emploi et des affaires sociales à une évaluation de l'évolution de la situation sociale au sein de la zone euro, constituant une sorte d'Eurogroupe social, qui pourrait développer des recommandations sur les politiques mises en oeuvre au sein de la zone euro.
On peut se réjouir que l'union remettre progressivement l'emploi et la croissance au cœur de ses objectifs de politique économique. Que la banque centrale mène un programme d'assouplissement ; que la commission lance un plan d'investissement de 315 milliards sur 3 ans qui peut paraitre ambitieux au regard de l'effet de levier attendu, mais reste modeste au regard des besoins d'investissement et de croissance. La zone euro a aujourd'hui un excédent extérieur de 230 milliards qui n'est pas dû a la compétitivité mais à l'effondrement de sa demande intérieure. Cette épargne de 230 milliards par an montre que l'on pourrait financer un plan de relance européen de ce montant sans problème de financement.
Il faut enfin que l'Europe retrouve l'esprit de la stratégie de Lisbonne en remettant au cœur de ses politiques économiques les 5 objectifs de la stratégie Europe 2020 : l'emploi, la recherche et développement, l'éducation, la réduction de la pauvreté et la lutte contre le changement climatique.
Puisque nous avons gravé dans le marbre des critères de bonne gestion budgétaire, nous pourrions aussi graver dans le marbre de la construction européenne le fait que les droits sociaux doivent avoir la même force dans nos politiques que les droits économiques.
C'est d'ailleurs ce que rappelait il y a quelques temps le premier ministre Italien Mateo Renzi. Et le contrat de coalition du gouvernement allemand exprimait la même chose, je le cite : « Il convient de s'assurer que l'égalité des droits sociaux prévue par la charte des droits fondamentaux de l'union européenne soit respectée face aux libertés du marché intérieur »
Ce sont les inégalités et les égoïsmes individuels qui ont engendré les dérives financières qui ont conduit à la crise de 2008 ; c'est le manque de solidarité entre nations qui est en partie responsable de l'ampleur de la crise de la zone Euro. Alors c'est en remettant la solidarité au cœur de notre union monétaire que l'on sortira durablement de la crise.