Révolutionner l'impôt, à la source (tribune dans Libération)

05
Jui
2015

Alors que s'ouvre le congrès du PS à Poitiers, l'ancien Premier ministre de François Hollande, Jean-Marc Ayrault, et le député PS Pierre-Alain Muet réaffirment la nécessité d'une réforme fiscale qui fera l'objet d'un ouvrage à paraître cet été. Avant-propos.

Le congrès du Parti socialiste remet à l'ordre du jour une réforme structurelle majeure qui était au cœur de la campagne de François Hollande : celle de l'imposition des revenus. En imposant de la même façon les revenus du travail et du capital au barème de l'impôt sur le revenu (IR), en plafonnant les niches fiscales et en portant le taux marginal le plus élevé à 45%, la loi de finances pour 2013 a marqué une première étape en corrigeant les injustices les plus criantes. Mais la remise à plat de notre système fiscal n'a pas été véritablement engagée.

Reprendre ce chantier est indispensable. Notre système fiscal, complexe et illisible, est à bout de souffle. Les Français en ont oublié les finalités, doutent de son efficacité, et ne sont plus convaincus de la justice du système. Pourtant, l'impôt est l'acte citoyen par excellence. Pilier de la démocratie, il est la contribution de chacun à l'effort collectif. Condition de la solidarité nationale, il doit être progressif, car notre modèle social repose sur ce principe de redistribution. Il est urgent de retrouver l'adhésion à l'impôt pour financer nos priorités : éducation, services publics, solidarité, emploi, investissements d'avenir...

Pour cela, le débat doit être global : l'addition de mesures prises au coup par coup ne suffira pas à retrouver la cohérence du système.

Notre impôt sur le revenu est archaïque. Conçu à la veille de la Première Guerre mondiale, réformé après la Seconde puis, plus marginalement, en 1959, il n'a fait l'objet depuis d'aucune réforme d'ensemble. Notre imposition du revenu est ainsi restée aveugle aux profondes évolutions sociologiques des dernières décennies : l'essor formidable du travail des femmes, la multiplication des familles recomposées, des trajectoires de vies et d'activité moins linéaires...

Avec la création, puis la montée en charge, de la CSG et la réduction quasi continue de l'impôt progressif sur le revenu jusqu'à ces trois dernières années, notre imposition des revenus - constituée d'impôts profondément différents, l'IR et la CSG - est devenue atypique dans le paysage européen. Proportionnelle pour la moitié la plus modeste de nos concitoyens (avec la CSG), elle n'est progressive que pour l'autre moitié, confortant l'idée fausse que seuls 50% de Français payeraient un impôt sur le revenu.

Rapprocher, puis fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG pour créer un impôt moderne prélevé à la source est un élément structurant des projets du PS depuis plus de dix ans. Cette réforme suppose une harmonisation des assiettes et des modes de prélèvement. Dans ces deux domaines, la modernité est clairement du côté de la CSG (assiette large et prélèvement à la source). Faut-il alors commencer par rendre la CSG progressive ou par modifier le mode de prélèvement de l'impôt sur le revenu ? Comme nous le proposons ici, et dans un ouvrage à paraître cet été, nous pouvons avancer sur les deux plans.

L'étape préalable à toute réforme significative de l'impôt sur le revenu est son prélèvement à la source. Plus simple pour le contribuable, il mettra fin au décalage d'imposition, qui pénalise les foyers, souvent les plus modestes, confrontés à une baisse de revenu. Il permettra aussi, à terme, de supprimer un grand nombre de niches fiscales injustes qui en mitent l'assiette. Avec l'ajustement immédiat de l'impôt à la situation du contribuable, la simplicité du mode de prélèvement et la facilité de gestion qui résulte d'un salaire net d'impôt, il donnera de la cohérence et de la visibilité à notre système.

Outre la transition d'un système à l'autre, le passage au prélèvement à la source soulève deux questions : la préservation de la confidentialité à l'égard de l'entreprise et l'ajustement complet à la situation du contribuable. Des réponses peuvent y être apportées à brève échéance avec la généralisation de la déclaration sociale nominative, qui permettra à l'administration fiscale de connaître le revenu imposable chaque mois à partir de 2016 ou 2017. Et dans les premières années de la transition où la déclaration sociale nominative ne sera pas disponible, l'ajustement peut se faire par réduction supplémentaire de l'imposition de l'année précédente, en général mensuelle.

Il s'agit d'une modernisation radicale du prélèvement de l'impôt sur le revenu, parfaitement compatible avec la structure familiale actuelle de l'IR. Du côté de la CSG, la prime d'activité pourrait être également versée, pour sa composante revenus d'activité, par une CSG dégressive.

Bref, pour peu qu'on en ait la volonté politique, il est possible de s'engager par étapes dans une véritable modernisation de notre imposition. Elle suppose de prendre le temps de la pédagogie, du débat et de la concertation, qui peut notamment reposer sur un logiciel de simulation consultable par chaque contribuable.

Comme l'exprimait la motion que nous avons cosignée, en 2005, avec François Hollande, alors premier secrétaire du PS : «Nous ne pouvons plus être les champions de la réforme fiscale dans l'opposition [...] et les gestionnaires des archaïsmes fiscaux au pouvoir [...].»

Jean-Marc AYRAULT Ancien Premier ministre et Pierre-Alain MUET Député socialiste de la deuxième circonscription du Rhône