Après plusieurs mois de tensions sociales sans précédent pour un gouvernement issu de la gauche, la « loi travail » a été définitivement « adoptée » par un nouveau recours au 49.3. Avec 60 autres députés de gauche, j'ai signé la saisine du conseil constitutionnel qui conteste une loi dont la confection « a révélé de graves négligences en matière de dialogue social et de respect du rôle du parlement ».
(Voir la saisine dans http://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/0211156445259-loi-travail-la-gauche-de-la-gauche-saisit-le-conseil-constitutionnel-2016736.php)
Sur le fond, cette loi qui n'a de majorité ni dans l'opinion, ni parmi les syndicats, ni au Parlement, restera une erreur économique et politique, comme je le rappelle dans la suite de cette note qui prolonge et développe la brève intervention que j'ai faite le seul jour où les 2 premiers articles de cette loi ont été débattus dans l'hémicycle... le 6 mai !
C'est une erreur économique directement inspirée de l'idéologie libérale dominante en Europe.
Elle repose en effet sur 2 idées fausses. La première, c'est de croire que la protection de l'emploi serait la cause du chômage, alors que celui-ci résulte d'abord des politiques macro-économiques inadaptées conduites en Europe depuis plusieurs années et dont nous sommes heureusement en train de sortir lentement. En matière de protection de l'emploi, le seul résultat bien établi par une écrasante majorité d'études empiriques sur ce sujet, y compris par l'OCDE, peu suspecte dans ce domaine, c'est qu'il n'y a, je cite, « aucune preuve empirique d'un impact de la protection de l'emploi sur le chômage ».
Il suffit d'ailleurs d'observer le cas de l'Allemagne pour s'en convaincre. C'est le pays européen qui a l'une des plus fortes protections de l'emploi en CDI et l'un plus faible taux de chômage. Le seul impact d'un coût élevé des licenciements est de limiter les destructions d'emploi lors des récessions et cela est compensé par le fait que l'emploi ré-augmente moins vite dans les phases d'expansion en raison de la résorption des sureffectifs accumulés lors de la récession. Le cas de l'Espagne illustre parfaitement ce que produirait la baisse forte des coûts des licenciements. 0n cite les 700 000 emplois créés l'an dernier avec la reprise économique en oubliant les 3,7 millions d'emplois détruits dans la crise. L'Espagne est en effet le seul pays européen où la baisse de l'emploi a été plus forte pendant la crise que la baisse de la production, alors que dans tous les autres pays la protection de l'emploi a amorti l'impact de la récession. L'Allemagne a même totalement amorti l'impact de la récession sur l'emploi en utilisant la réduction du temps de travail et le « kurzarbeit ».
La seconde erreur est de croire qu'on peut s'en remettre à la seule négociation d'entreprise en inversant la hiérarchie des normes et en réservant aux branches un rôle accessoire, alors que celles-ci sont essentielles pour que la concurrence ne tire pas les salaires et les conditions de travail vers le bas.
L'article 2 de la Loi travail met à bas toute l'architecture de notre droit du travail, élaboré depuis le Front Populaire et fondé sur le principe de faveur. C'est un reniement pour Manuel Valls qui en juin 2015, signait la motion majoritaire du congrès de Poitiers qui énonçait : « il faut rétablir la hiérarchie des normes. Si la Loi peut permettre à des accords de déroger à ces dispositions, elle ne peut le prévoir dans les domaines relevant de l'ordre public social : salaire minimum, durée légale du travail, droit du licenciement, représentation du personnel.»
Cette inversion est une importation directe de l'idéologie qui a conduit l'Europe au bord de la déflation. Faute d'avoir pu réorienter l'Europe et réduire nos déficits, le gouvernement a choisi comme beaucoup d'autres pays européens d'importer des réformes dites structurelles qui sont simplement comme le rappelait Stiglitz des régressions sociales. Dans le contexte de déflation rampante qui caractérise encore l'Europe, c'est une absurdité économique.
Pour une entreprise comme pour un Etat Il y a deux façons d'ajuster sa compétitivité : par le bas en baissant par exemple la rémunération des heures supplémentaires ou par le haut en investissant dans l'innovation économique et sociale. Pendant 50 ans, l'Europe, se souvenant des déflations calamiteuses des années 30, s'était interdit de reproduire des ajustements vers le bas. Mais c'est malheureusement ce qu'elle a fait au cours de ce que j'appelle la grande récession de 2012-2014, par un cocktail de politique économique fait de coupes dans les dépenses publiques et de réduction du coût du travail dont le résultat a été trois années de récession et une situation de quasi déflation.
Cette inversion de la hiérarchie des normes est combattue par tous les syndicats autres que la CFTC et la CFDT. Et ce n'est pas rendre service aux petites entreprises qui n'ont ni le temps ni la capacité à produire de la norme sociale, mais ont besoin comme tous les acteurs économiques d'un ordre public de branche, comme l'a rappelé très clairement le secrétaire général de l'UPA lors de son audition par la commission des affaires sociales.
J'en viens à l'aspect politique. Proposer à un an d'élections présidentielles un texte très majoritairement rejeté par nos concitoyens qui ne sert à rien d'un point de vue économique, mais remet en cause ce que nous à gauche défendons depuis toujours en divisant profondément le PS et le mouvement syndical, c'est tout simplement suicidaire.
Quant au fait que cette réforme soit profondément rejetée par nos concitoyens, la raison en été clairement énoncée par François Hollande, alors premier secrétaire du PS en avril 2008 lors d'un débat sur le thème « réformer la France, mission impossible ». J'ai un souvenir très précis de cette période car j'avais travaillé avec le 1er secrétaire de l'époque à sa contribution au congrès de Reims. Et je me souviens très bien de ce qu'il disait en avril 2008 sur la méthode de la réforme :
« Il n'est pas possible de mobiliser pour la réforme si on ne propose pas un projet de société. Ce qui fonde le projet de société, c'est le moment de la campagne présidentielle où le candidat affirme son projet et reçoit du suffrage universel l'autorisation de le traduire. Sans projet de société, les réformes arrivent comme des incongruités auxquelles on ne peut adhérer »
Cette « incongruité » ouvre un boulevard à la droite qui avait commencé timidement à démanteler le droit du travail et les 35 heures... et qui, comme le montre le texte voté par le sénat, n'hésitera pas à s'engouffrer dans la brèche que nous avons ouverte.