La taxe sur la diffusion d'oeuvre cinématographique qui finance le CNC n'est pas un impôt d'Etat mais un système vertueux de financement de la création cinématographique et audiovisuelle par les spectateurs du cinéma. Ce financement vertueux a permis de maintenir une création cinématographique dynamique en France alors qu'elle a disparu chez nos voisins.
Fondée à l'origine sur les billets d'entrée dans les salles, elle a progressivement été étendues à la video puis aux fournisseurs d'accès à Internet et aux plateformes payantes de vidéos à la demande. Il était logique qu'elle s'applique aux plateformes gratuites de partage de vidéos qui concourent à l'exposition d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles et se rémunèrent par la publicité. Ce que certains qualifient de taxe YouTube n'est que l'extension cohérente de cette contribution à un nouveau mode de diffusion. Ci joint, mon intervention en séance sur l'amendement que j'ai déposé avec Bruno Leroux, Karine Berger et Valerie Rabot et qui a été adopté par l'assemblée.
Dans la suite de cette note, un extrait du débat sur la taxe vidéo.
Extraits du débat en séance sur l'élargissement de la taxe vidéo
Mardi 6 décembre, séance de 21 h 30
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 256 et 269. La parole est à Mme la rapporteure générale, pour soutenir l'amendement no 256.
Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. La mesure proposée a déjà été examinée dans le cadre du projet de loi de finances initiale pour 2017, mais la commission, monsieur le secrétaire d'État, persiste – et procédera de façon itérative – dans sa volonté d'appliquer à une économie en développement les mêmes conditions qu'à une économie plus traditionnelle. D'aucuns appelleront cette mesure « taxe YouTube », même si l'on peut lui donner un autre nom...
Cet amendement de la commission, dans son aspect opérationnel, tend donc à créer une taxe sur la publicité. YouTube, par exemple, peut mettre en ligne des vidéos qui, réalisées par des cinéastes ou d'autres créateurs, sont précédées par des spots publicitaires de quelques secondes – jusqu'à trente et plus –, lesquels génèrent des recettes pour le diffuseur, certaines d'entre elles pouvant d'ailleurs être délocalisées.
On s'est interrogé, lors de l'examen en commission, sur la compatibilité d'une telle mesure avec les directives européennes. Il se trouve que la Commission européenne a déposé, en mai 2016 – donc récemment – un projet de directive dite « Services de médias audiovisuels », que je tiens à votre disposition. Il y est précisé que « les États membres peuvent également imposer des redevances [...], sur la base des recettes tirées des services à la demande qui sont fournis sur leur territoire et visent ce dernier [...] ». Les « États membres [...] sont également autorisés à imposer de telles obligations financières aux fournisseurs de services à la demande établis dans un autre État membre qui visent leur territoire. Dans ce cas, les obligations financières ne devraient porter que sur les recettes générées par l'audience dans cet État membre ». C'est exactement ce à quoi tend la mesure ici proposée, adoptée par deux fois en commission des finances au terme d'assez longs débats ; d'autres collègues, j'imagine, s'exprimeront à son sujet, et elle est soutenue par des cinéastes, par tous les acteurs du secteur de la production et de la création.
Il serait bienvenu, je pense, d'envoyer un signal conforme au projet de directive de la Commission européenne.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont, pour soutenir l'amendement no 269.
M. Marcel Rogemont. J'ajouterai quelques mots à ceux de Mme la rapporteure générale.
Il ne s'agit pas, à proprement parler, de créer une taxe, puisque la taxe sur les vidéogrammes existe depuis 1993 ; elle a été étendue à la vidéo à la demande en 2004 et, en 2013, aux opérateurs de ce secteur établis à l'étranger. L'Allemagne a d'ailleurs adopté une disposition similaire, et la Commission européenne l'a faite sienne à son tour, dans les mêmes termes. Cela montre toute l'efficience de notre vote de 2013.
La question se pose néanmoins pour un opérateur qui diffuse un vidéogramme en percevant des recettes publicitaires sans avoir contribué à sa création. La neutralité s'impose s'agissant du mode de financement, dès lors qu'un produit culturel structuré est mis à la disposition des consommateurs. C'est bien de cela qu'il s'agit ici, comme le rappelait fort justement Valérie Rabault.
L'abattement sur l'assiette de la taxe affectée à la vidéo à la demande est, rappelons-le, de 4 % ; en l'espèce, il se monterait aux deux tiers des sommes perçues dans le pays de destination, de façon à ce que soient pris en compte l'ensemble des produits diffusés par ces plateformes – YouTube ou autres –, lesquels ne se résument pas aux seuls produits culturels structurés. Le taux de la taxe, lui, s'établirait à 2 %, comme pour la vidéo à la demande.
De fait, rien ne justifie un traitement fiscal différent selon que le même produit culturel structuré est diffusé par YouTube ou par un service de vidéo à la demande.
(...)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
M. Pierre-Alain Muet. Mes chers collègues, j'aimerais que nous ne mélangions pas tout, et que, dans la mesure où nous examinons le projet de loi de finances rectificative pour 2016, nous adoptions un raisonnement un tant soit peu économique.
La taxe en question n'est pas un impôt d'État : il s'agit en effet d'un mode de financement de la création cinématographique par les consommateurs de cinéma. Un tel dispositif est, sur le plan économique, parfaitement vertueux : s'il a commencé par s'appuyer sur les billets d'entrée dans les salles de cinéma, aujourd'hui les choses ont changé et l'on regarde les films en vidéo à la demande : il est donc logique d'intégrer ce nouveau mode de consommation, c'est-à-dire d'englober tous les usages, de ce média.
M. Michel Herbillon. Exactement.
M. Pierre-Alain Muet. Je pose quelques questions. Aujourd'hui, la vidéo payante est taxée, comme l'est – par le biais d'institutions qui contribuent à ce mode de financement – celle dite en replay, qui se finance par la publicité. Et on ne pourrait pas taxer les plateformes gratuites qui diffusent des films et se financent par la publicité ?
Si l'on veut renforcer la cohérence du financement du CNC, il faut élargir l'assiette de cette taxe chaque fois qu'une nouvelle forme de diffusion voit le jour. Cela n'a rien à voir avec le débat portant sur la taxation de l'optimisation fiscale des grands groupes !
M. Charles de Courson. Taxons, taxons ! (Sourires.)
M. Pierre-Alain Muet. On mélange tout : l'extension de l'assiette de cette taxe est tout à fait cohérente. Autre question : pourquoi taxerait-on un modèle d'exploitation fondé sur la vente ou la location, comme celui des plateformes françaises d'Orange, et pas celui, concurrent, de la vidéo à la demande gratuite, qui est majoritairement dominé par des plateformes étrangères ?
Ces amendements renforcent donc la cohérence de l'assiette de cette taxe, sans en créer de nouvelle.
M. Marcel Rogemont. Très bien !
(...)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je remercie Pierre-Alain Muet d'avoir resitué le débat : je partage entièrement son point de vue. Même si cela peut parfois être irritant, compte tenu de certains arguments que j'ai entendus et que je respecte, il faut bien avoir en tête qu'avec cette disposition – et cela a été dit – , nous ne traitons pas de la question de l'imposition des bénéfices des grandes plates-formes multinationales. (Approbation sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Christophe Caresche. Oui. Absolument.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je le dis car j'ai parfois entendu – et lu, car la presse parle beaucoup de cette affaire – le contraire. Certains journalistes y voient en effet – mais peut-être se trompent-ils, ou peut-être n'avons-nous pas été suffisamment clairs – le remède à l'évasion des bases fiscales liées à l'utilisation de plateformes sur internet.
Je souhaitais le dire, car s'il peut nous arriver, dans certains moments de tension, d'être en désaccord, il faut relever les points sur lesquels nous sommes d'accord.
(...)
Ceci étant dit, si sur le fond il s'agit de financer la création au moyen d'une taxe alimentant le CNC, qui doit être le seul opérateur de l'État dont les ressources ne sont pas – M. de Courson, je le dis sans état d'âme particuliers, dans la mesure où je représente le Gouvernement et non ma seule personne – plafonnées, j'ai insisté sur le million d'euros car, évidemment, il s'agit d'un montant faible comparé au chiffre d'affaires des plateformes.
Cela montre, en outre, que nous ne répondons pas en l'espèce à la question de l'optimisation fiscale agressive.
M. Charles de Courson. Quel est le budget du CNC ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. De mémoire, de l'ordre de 700 millions d'euros. Par conséquent, un million d'euros ne va pas non plus bouleverser complètement, dans un sens comme dans l'autre, la vie de cet opérateur.
Beaucoup de choses ont été dites : si, alors que nous avons bien affirmé que l'élargissement de l'assiette de cette taxe ne résolvait pas le problème de l'optimisation fiscale et qu'il fallait continuer à travailler sur ces questions, et que j'ai pris le soin de souligner les difficultés qu'il soulèverait, l'Assemblée choisissait d'adopter ces amendements, je respecterais évidemment son choix.
M. Dominique Lefebvre et M. Christophe Caresche. Cela ne marchera pas !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je leur reste néanmoins défavorable, et je ne le dis pas seulement en mon nom personnel : le Gouvernement y est défavorable.
(Les amendements identiques nos 256 et 269 sont adoptés.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.