M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
Pierre-Alain Muet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la
commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je tiens à saluer à
mon tour la qualité du rapport de la Cour des comptes, qui constitue un véritable atout pour
l’exercice de notre mission de contrôle budgétaire. À cet égard, comme l’ont souligné plusieurs
collègues, si nous voulons réellement mettre l’accent sur la réduction des déficits, il faudra accorder
plus d’importance au débat portant sur la loi de règlement, car celle-ci témoigne de la manière dont
les discours se traduisent dans la réalité.
M. le rapporteur général a présenté avec satisfaction les comptes de l’année 2006. L’on peut certes
se réjouir que les résultats financiers de cet exercice soient moins défavorables que ceux des quatre
années précédentes. Mais l’on peut aussi s’inquiéter, tel est le sens du rapport de la Cour des
comptes, de voir qu’après quatre années de déficit excessif – trois ans officiellement, mais quatre si
l’on inclut 2005 qui ne s’éloignait guère du déficit excessif – et cinq années marquées par une
envolée sans précédent de la dette, le déficit réel soit encore proche de 3 % et que la baisse du ratio
d’endettement en 2006 ne tienne qu’à des mesures ponctuelles non reconductibles qui, selon
l’expression même de la Cour des comptes, « ne constituent pas une voie structurelle de
désendettement ».
Après avoir été, pendant quatre ans, supérieur à 3 % du PIB, le déficit de l’ensemble des
administrations publiques est à peine inférieur à ce critère en 2006. Certes, en affichage, il est à
2,5 %, mais au prix de mesures exceptionnelles – soulte de La Poste, après bien d’autres,
modifications du calendrier de versement des acomptes de l’IS et taxation anticipée des plans
d’épargne logement – dont le total représente 5 milliards d’euros et qui améliorent les choses en
2006, mais qui vont vous compliquer la tâche en 2007, monsieur le ministre, d’autres l’ont dit avant
moi. Sans ces mesures, le déficit réel serait de 2,8 % du PIB, niveau à peine égal à celui nécessaire
pour stabiliser la dette. L’état des comptes publics ne permet donc pas encore d’espérer que la dette
va commencer à diminuer.
Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, on retrouve les mêmes artifices comptables
du côté de la dette : sa baisse en pourcentage du PIB – un peu plus de deux points en 2006 – résulte
non pas du rééquilibrage des comptes publics, mais de mesures elles aussi exceptionnelles, parmi
lesquelles un encours de plus de 16 milliards de cessions d’actifs, dont 14 milliards liés à la
privatisation des concessions autoroutières. Ce montant, indique le président Séguin, n’avait jamais
été atteint depuis la vague de privatisations de 1986 : « le produit financier immédiat attendu a
primé sur toute autre considération stratégique ».
Or, ce type de cession qui consiste à vendre des actifs qui auraient continué à procurer d’importants
revenus à l’État dans les années futures n’est en aucune façon un désendettement. Si la cession s’est
faite au prix du marché, elle est au mieux neutre sur la dette réelle, c’est-à-dire sur la dette nette,
selon des critères de mesure qui furent brièvement adoptés en 2000 et 2001.
Je voudrais à cette occasion revenir à la période 2002-2006 qui a été marquée par une croissance
mondiale exceptionnelle. Celle-ci, qui s’établissait autour de 3,5 % au cours des cinq années
précédentes, a été comprise entre 4 % et 5 % durant toute cette période et la plupart des pays l’ont
mise à profit pour réduire leur déficit. Cela n’a pas été le cas de la France. Il est vrai que notre pays
est resté à l’écart de cette croissance...
Daniel Garrigue. Il faut voir d’où nous partions en 2002 ! Vous avez la mémoire courte !
Michel Bouvard. Vous ne vous êtes peut-être pas aperçu que les autres pays n’ont pas les
35 heures !
...
M. Pierre-Alain Muet. Je n’ai pas le temps en dix minutes de m’étendre sur l’héritage, mais je vais
en parler.
Je rappelle, données objectives à l’appui, qu’au cours de la période, la croissance a été de 1,5 % en
France contre 4 % ou 5 % à l’échelle du monde. En 2006, le décalage existe toujours : 2 % en
France, mais 2,7 % dans les pays européens et une croissance mondiale record, de l’ordre de 5 %.
Pourquoi la France est-elle restée aussi durablement éloignée de l’équilibre et a-t-elle autant peiné à
respecter la norme de 3 % de déficit public ? Il est intéressant d’examiner les faits à la lumière des
discours prononcés à l’époque. Ainsi, M. Francis Mer, qui était à votre place, monsieur le ministre,
expliquait que les allégements d’impôts stimuleraient la croissance et que, accompagnés d’une
maîtrise des dépenses publiques, ils permettraient aussi de réduire les déficits ainsi que la dette.
La réalité a été tout autre : le déficit, estimé à 1,5 % du PIB en 2001 et que l’audit commandé par le
Premier ministre à M. Bonnet et M. Nasse évaluait entre 2,2 % et 2,5 % en 2002, s’est aussitôt
creusé. Il est passé à 3,2 % à partir de l’été, à cause de nouveaux allégements fiscaux et de
l’augmentation des dépenses qu’atteste un graphique très intéressant montrant la croissance des
dépenses de l’ensemble des administrations publiques au cours de l’année 2002 : de l’ordre de
3,5 %. Depuis, le déficit public n’a cessé de croître : 4,1 % en 2003, 3,6 % en 2004 et si, en 2005, il
est revenu à 3 %, c’est là encore en raison de mesures ponctuelles, notamment une soulte de
8 milliards d’euros versée par les industries électriques et gazières. Bref, pendant quatre ans, la
France a été dans une situation de déficit excessif, dont elle n’est pas encore vraiment sortie
aujourd’hui.
Les raisons de ces difficultés persistantes tiennent à ce que les dépenses globales n’ont pas été
maîtrisées, dans un contexte de baisse de la fiscalité. À telle enseigne que, au bout de deux ans,
l’ampleur du déficit a contraint les gouvernements successifs à augmenter à nouveau les
prélèvements obligatoires : de près d’un point au total. Du côté des dépenses de l’Etat, les efforts de
maîtrise ont fini par produire leurs effets. M. Francis Mer a à peu près réussi à contenir les dépenses
de l’État dans la limite de 0,3 %, mais les recettes n’ont pas été au rendez-vous parce que
l’accélération tant espérée de la croissance ne s’est pas produite. Les prévisions annuelles de
croissance, comprises entre 2 % et 2,5 % sauf en 2004, ont toujours été nettement supérieures aux
réalisations et la stratégie qui a consisté à laisser glisser les déficits en début de période a échoué
puisqu’il s’est avéré impossible de les ramener ensuite à un niveau acceptable.
Au total, cette expérience ne laisse pas de nous inquiéter sur la politique que vous allez conduire.
Nous en parlerons cet après-midi. Si le Président de la République a parlé de rupture, je crains
surtout, en matière économique, la continuité : vous allez de nouveau faire des cadeaux fiscaux en
début de période, en renvoyant à plus tard la réduction des déficits. Les cinq dernières années
montrent que cette stratégie est dangereuse puisque, faute d’avoir été réduits, les déficits ont conduit
à une explosion de la dette de près de dix points en quatre ans. La baisse observée en 2006 est
purement comptable. Le déficit a tout juste permis de stabiliser la dette.
Si le gouvernement de l’époque a pu ne pas se préoccuper outre mesure de l’endettement, c’est
parce que les finances publiques avaient été assainies entre 1997 et 2002. Le déficit, que l’audit
avait chiffré à 3,5 % du PIB en 1997, avait été ramené, je le rappelle, à 1,5 %. Vous avez hérité,
quant à vous, monsieur le ministre, d’une situation beaucoup moins favorable. (Applaudissements
sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche).