Première séance du mercredi 11 juillet 2007
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M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
Pierre-Alain Muet. Madame la ministre, je ne doute pas un instant qu’il y ait dans notre pays
un grand nombre de salariés qui souhaitent travailler plus pour gagner plus.
...Mais je pense qu’ils ne sont pas concernés par cet article. Ceux qui souhaitent travailler plus pour
gagner plus, ce sont d’abord tous ceux qui ne travaillent pas parce qu’ils sont au chômage ; ceux qui
souhaitent travailler plus pour gagner plus – Mme Billard en a parlé –, ce sont tous ceux, au nombre
d’un million, dont 80 % de femmes, à temps partiel contraint et souhaitant travailler à temps plein ;
ceux qui souhaitent travailler plus pour gagner plus, ce sont aussi tous les seniors qui ont été
confrontés dans notre pays à une perte d’emploi et qui, au-delà de cinquante-cinq ans, n’arrivent pas
à en retrouver un. Mais, dans l’article 1er, aucun dispositif ne traite de ces trois difficultés.
En favorisant les heures supplémentaires, vous allez faire le contraire de ce qu’il faudrait, c’est-à-
dire que vous allez défavoriser l’emploi : dans leurs arbitrages, les entreprises vont choisir les
heures supplémentaires plutôt que l’emploi.
...Ce que vous faites sur les heures complémentaires, vous savez très bien que ça ne résout pas le
pas le problème du temps partiel. Si on veut le résoudre, il faudrait que le temps partiel soit encadré
par la négociation sociale et que ceux qui souhaitent travailler à temps plein puissent le faire. Ce
n’est pas une incitation qui changera les choses puisque le temps partiel est déterminé
essentiellement par l’employeur.
Donc, aucun des objectifs que vous fixez dans cette proposition « travailler plus pour gagner plus »
ne se retrouve dans cette loi. Vous montez une « usine à gaz » – le terme n’est pas de moi, mais se
retrouve pratiquement dans toutes les études qui ont été effectuées sur le sujet. Vos propres services
expliquent qu’il s’agit d’une « usine à gaz qui aura des effets incertains sur l’emploi et sur le
pouvoir d’achat, pour un coût exorbitant pour les finances publiques ». Cette phrase on la retrouve
aussi bien dans un rapport du Conseil d’analyse économique – qui sera, je l’espère, prochainement
publié – que dans des travaux qui ont été diffusés par le ministère des finances.
Je voudrais terminer par deux remarques. « Travailler plus pour gagner plus », c’est effectivement
un objectif que doit se fixer une société à l’échelle globale. Il ne s’agit pas de le faire à l’échelle
individuelle, mais à l’échelle globale. C’est tout simplement viser le plein emploi.
Mais vous n’en prenez pas la route ! J’ai regardé attentivement le rapport où le rapporteur général
nous explique – dans un graphique qui doit se trouver à la page 56 – que les pays qui ont retrouvé le
plein emploi sont ceux qui travaillent le plus. Moi, je vous conseille de consulter la page 51, où
vous avez des données totalement objectives – et non pas un graphique effectué en prenant quatre
pays au hasard – sur le temps travaillé dans tous les pays.
On remarque que les deux pays qui travaillent le moins, ce sont la Hollande et la Norvège. Ces deux
pays sont depuis longtemps en plein emploi. La Norvège, qui n’a pratiquement jamais connu le
chômage de masse, a baissé son temps de travail de façon considérable pendant quinze années de
suite, depuis la fin des années soixante-dix. La Hollande a fait la même chose. Tout le monde a eu
l’occasion d’analyser les accords de Wassenaar et la politique de réduction du temps de travail
menée en Hollande, qui a conduit au plein emploi depuis dix ans.
Je vous invite à regarder ces donnés car vous constaterez que les trois pays qui travaillent le plus,
monsieur le rapporteur général, ce sont la Grèce, la Pologne et la Tchéquie. Or, la Grèce est
championne du chômage dans l’Europe de l’Ouest, avec un taux de près de 10 % depuis cinq ans ;
la Pologne détient le record de pays de l’Est, avec un taux qui a avoisiné les 20 % pendant cinq ans ;
et la Tchéquie n’est pas très éloignée de ces deux pays. Cela montre que, si l’on veut aller vers le
plein emploi, la réduction du temps de travail est aussi un élément.
Autre exemple : celui de la France. Regardons à la lumière de la proposition « travailler plus pour
gagner plus » ce qui s’est passé à l’échelle de la société tout entière. Depuis un siècle, en France, la
durée individuelle du travail a été divisée par deux. Dans le même temps, cinq millions d’empois
ont été créés. C’est peu. Ainsi, le nombre total d’heures travaillées dans l’économie française a été
globalement divisé par deux, en un siècle.
On constate un mouvement continu, sauf pendant une seule période de cinq ans : de 1997 à 2002,
les années du gouvernement Jospin. Pendant ces années, la durée individuelle du travail a certes
baissé, mais deux millions d’emplois ont été créés. Pour la première fois, la France a effectivement
travaillé plus pour gagner plus. Elle a gagné plus parce que c’est la seule période où le revenu des
Français, le revenu national, a crû de 3 % par an.
Vous en êtes loin aujourd’hui ! Eh bien, madame la ministre, vous devriez vous inspirer à la fois des
exemples européens et de l’histoire. Le meilleur service que vous puissiez rendre à notre pays, c’est
de retirer cet article. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et citoyen et du
groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Deuxième séance du mercredi 11 juillet 2007
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M. le président. La parole est à M. Pierre-Alain Muet.
Pierre-Alain Muet. M. Carrez a essayé de montrer dans son rapport que plus un pays travaillait,
plus la durée de travail de ses salariés était importante, plus le chômage était bas. J’ai cité ce matin
le cas de la Norvège et des Pays-Bas, m’inspirant du graphique qui figure à la page 51 de son
rapport et qui reprend le nombre moyen d’heures travaillées dans l’année par chaque actif occupé
dans les pays de l’OCDE. Il apparaît en effet que c’est en Norvège et aux Pays-Bas que la durée de
travail est la plus faible. Or ces deux pays, en réduisant considérablement le temps de travail par la
négociation sur une quinzaine d’années, sont arrivés au plein emploi. Le taux de chômage y est
inférieur à 5 % depuis dix ans environ.
...Le graphique désigne aussi les trois pays où la durée du travail est la plus longue : la Grèce, la
République tchèque et la Pologne. Monsieur Carrez, chers collègues, consultez donc les statistiques,
vous constaterez que la Grèce a connu et connaît encore le plus fort taux de chômage de l’Europe de
l’Ouest, la Pologne subit un sort identique en Europe de l’Est – près de 20 % pendant cinq ans –, et
la République tchèque est dans la même situation.
Monsieur le rapporteur général, les comparaisons internationales montrent que les pays qui
connaissent le plein emploi sont précisément ceux qui ont réduit la durée du travail. (Protestations
sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Les chiffres sont là, mes chers
collègues.
S’agissant de la France, de 1997 à 2002, période pendant laquelle notre pays a réduit la durée
individuelle du travail, deux millions d’emplois ont été créés.
...Je rappelle qu’en un siècle, il n’en avait créé que cinq millions et qu’au cours des cinq dernières
années, nous n’avons assisté qu’à la création de 250 000 emplois. (Protestations sur les bancs du
groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous ne cessez de répéter qu’il faut individuellement travailler plus pour gagner plus. Mais si vous
reprenez le raisonnement à l’échelle du nombre total d’heures travaillées en France sur un siècle,
vous serez surpris par le résultat. Il apparaît, ce nombre ayant certes été divisé par deux sur cent ans,
que c’est uniquement au cours de la période Jospin que le nombre d’heures travaillées a augmenté
et ce, de près de 10 %. L’explication est simple : la durée du travail individuelle a baissé mais,
compte tenu de la création des deux millions d’emplois ainsi favorisée, l’ensemble des heures
travaillées en France a augmenté. C’est la seule période où notre pays a travaillé plus pour gagner
plus, et ces gains sont allés à ceux qui en avaient le plus besoin, les chômeurs et les jeunes entrant
sur le marché du travail. C’est au cours de ces seules années que le chômage des jeunes a également
baissé.
...Enfin, je rappellerai que, sur trente ans, c’est encore pendant cette période que le déficit public a
été considérablement réduit, passant de 3,5 % à 1,5 %, et que la dette publique a baissé en
pourcentage de la richesse nationale. Cette période, c’est celle des cinq années Jospin !
(Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Je vous
invite à méditer sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical et
citoyen.)