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Le consentement à l’impôt et la naissance des Parlements

05
Nov
2018

En Angleterre, en France et aux Etats-Unis, la naissance et le développement des Parlements ont été étroitement lié à la nécessité d’obtenir le consentement des contribuables pour lever l’impôt personnel. Les révolutions française et américaine réaliseront en quelques années, et même en quelques mois, ce que 5 siècles d’évolutions résultant des conflits entre la monarchie et le Parlement ont construit progressivement en Angleterre.

Pourtant la nécessité de lever l’impôt avait abouti très tôt à la création de « Parlements » : en 1215 en Angleterre, avec la création du grand Conseil (qui deviendra Parlement) et en 1302 en France, avec la création des Etats généraux par Philippe le Bel. Mais en acceptant en 1435 la création d’impôts permanents pour financer une armée permanente, les Etats généraux se dessaisiront de leur pouvoir et ne seront plus convoqués par le roi de France. Et l’absolutisme tant admiré par les autres souverains européens se fracassera 3 siècles plus tard sur la nécessité de convoquer les Etats généraux en 1789 pour faire face à la faillite des finances publiques.

C’est une toute autre histoire qui se déroula en Angleterre. En s’opposant parfois de façon violente à la volonté royale de lever des impôts sans son accord, et en obligeant le roi à recourir tous les ans au vote de l’impôt, le Parlement anglais s’emparera progressivement du pouvoir, étendant ses prérogatives aux lois en général et jetant les bases d’une démocratie moderne.

En quelques mois la révolution française construira les institutions d’une démocratie moderne et le consentement à l’impôt sera consacré par les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

C’est cette histoire que nous détaillons dans la suite de cette note extraite du chapitre 4 du livre Un impôt juste, c’est possible !

 

L’histoire commence en Angleterre en 1215 avec l’adoption de la Grande Charte qui oblige le roi d’Angleterre Jean sans Terre à obtenir l’accord d’un Grand Conseil avant de créer de nouveaux impôts. Ce Grand conseil qui prendra plus tard le nom de Parlement est constitué des principaux barons auxquels s’ajouteront ultérieurement les représentants des bourgeois de Londres.

Un peu moins d’un siècle plus tard, les mêmes raisons vont conduire en France à la création des Etats généraux. Le principe de l’état médiéval selon lequel « le roi doit vivre du sien », c’est-à-dire des seuls revenus de son domaine, est battu en brèche par la nécessité d’obtenir des ressources pour financer les guerres. En 1302 le roi de France Philippe le Bel crée et convoque les Etats généraux pour résoudre le conflit qui l’oppose au Pape Boniface VIII au sujet de l’impôt exceptionnel sur le clergé qu’il veut lever.

Dans les deux nations, les représentants de la bourgeoisie vont prendre progressivement de l’importance, alors qu’ils n’étaient souvent pas convoqués dans les premières assemblées. Leur présence dans le Parlement anglais et les Etats généraux résulte moins de la volonté des souverains de réunir les représentants de la nation que de celle d’associer les futurs contributeurs aux impôts qu’ils entendent lever. Les souverains vont essayer de limiter les rôles des « assemblées ». Ils s’en passeraient d’ailleurs volontiers s’ils n’avaient pas de dépenses exceptionnelles comme celles occasionnées par les Guerres, qui les obligent à y recourir quand ils ont besoin de lever des impôts. Car, à cette époque, les impôts sont toujours des ressources exceptionnelles et la convocation par le souverain des « assemblées » dans les deux nations n’a pas d’autre périodicité que celle des besoins d’argent du souverain.

A partir du XVème siècle le fonctionnement des deux monarchies va profondément diverger, l’Angleterre avançant progressivement vers le parlementarisme, la France vers l’absolutisme et la Révolution. Et, là encore, c’est l’impôt qui va jouer un rôle essentiel dans cette divergence.

En 1435 et 1439, le roi de France Charles VII obtient des Etats généraux l’instauration d’impôts permanents pour financer une armée permanente. Les États généraux demanderont par la suite à être consultés pour consentir à l’impôt mais leur revendication ne sera jamais entendue : c’est le droit royal d’imposer qui triomphera et pour le conforter, le roi délèguera à certaines villes ou à certaines assemblées provinciales la possibilité de lever leurs propres impôts.

L’Angleterre va connaître une évolution très différente. Le Parlement anglais, qui était à l’origine - comme les Parlements locaux de l’Ancien régime en France - essentiellement une juridiction, va accroitre progressivement son rôle législatif, à l’occasion des multiples conflits qui vont l’opposer à la royauté sur la question fiscale.

Des velléités d’absolutisme inspirées des souverains français naitront en réaction les textes fondamentaux de la monarchie parlementaire britannique.

En 1628 après plusieurs dissolutions des communes et le recours à l’emprunt forcé, le roi Charles Ier est obligé pour obtenir des fonds de signer la « Pétition des droits » qui renforce la grande Charte, proscrit l’emprunt forcé et rappelle qu’aucune taxe ne peut être levée sans le consentement de la nation. Le conflit avec le Parlement se poursuivra les années suivantes est se terminera par l’exécution du roi le 3 janvier 1649 devant le palais de Whitehall, résidence des souverains à l’époque.

Quelques décennies plus tard, après l’éphémère république de Cromwell et le retour des Stuart, c’est le roi Jacques II, admirateur de l’absolutisme français, qui va bien involontairement accroître encore en 1688 le pouvoir du Parlement britannique. Le Parlement s’oppose à ce roi catholique et favorise l’accession au trône de sa fille protestante Marie et de son époux Guillaume d’Orange, à condition qu’ils signent le « Bills of Right ». L'Angleterre devient dès lors en 1689 une monarchie parlementaire, même si ce n’était pas encore véritablement une démocratie :

- le roi ne peut pas lever des troupes ou des impôts sans le consentement du Parlement (articles 4 et 5),

- le Parlement est librement élu et se réunit périodiquement (en fait chaque année) pour voter les lois,

- la liberté de parole et tous débats et actes du Parlement ne doivent donner lieu à aucune poursuite ou enquête dans aucune Cour, ni dans aucun lieu, en dehors du Parlement (article 9),

- la protection des citoyens et la liberté individuelle sont garanties.

Refusant d’accorder à Guillaume d’Orange des revenus à vie comme l’avait fait les Etats généraux, le Parlement votera alors des budgets pour quelques mois voire un an, obligeant le roi à en appeler à chaque fois au Parlement, de sorte que celui-ci deviendra une institution permanente. Enfin une commission parlementaire sera mise en place pour effectuer l’audit des taxes et impôts consentis à la Couronne.

C’est encore le consentement à l’impôt, mais cette fois contre le Parlement anglais, qui va être à l’origine de la révolution américaine au nom du principe « no taxation without representation ». Parmi les mesures fiscales adoptées par la nouvelle république américaine l’une est d’une incroyable actualité aujourd’hui. Pour asseoir une fiscalité fédérale, Alexander Hamilton, fervent fédéraliste et Secrétaire au trésor de Georges Washington, fait assumer par l’Etat fédéral toutes les dettes de guerre des différents Etats. « Il dispose ainsi d’un prétexte – le remboursement de la dette – pour rendre légitime la fiscalité fédérale »[1]. L’Union monétaire européenne aurait été bien inspirée lors de la crise de l’Euro de suivre une voie comparable qui lui aurait permis à la fois de créer une ressource propre au budget européen et d’alléger la dette des Etats-membres.

Les idées des Lumières ont inspiré les constituants américains. Elles vont jouer un rôle comparable dans la révolution française. La disparition du principe du consentement va rendre l’impôt particulièrement impopulaire en France. La monarchie s’appuie sur une accumulation d’impôts et de taxes indirectes qui ont toutes en commun d’être profondément inégalitaires puisque le clergé et la noblesse en étaient très largement exempté. Le rejet de l’imposition d’ancien régime est tel, qu’il occupera la majorité des revendications des cahiers de doléance des Etats Généraux de 1789. Et le droit royal à lever l’impôt sans avoir à le demander aux Etats généraux, que les autres souverains européens rêvaient d’imiter, conduira en fait à la disparition d’une monarchie incapable de se réformer.

La révolution, fille des Lumières et d’un développement économique et social incompatible avec un système politique hérité de la féodalité, ne se contenta pas d’effacer l’ancien régime, elle créera en quelques mois les fondements d’une démocratie moderne. Le 17 juin 1789, un mois après la réunion à Versailles des Etats généraux, les députés du tiers état, considérant qu'ils représentent « les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation » se proclament Assemblée nationale. Trois jours plus tard, le 23 juin dans la salle du Jeu de paume, ses membres font le serment de « ne jamais se séparer ... jusqu'à ce que la constitution fût établie et affermie sur des bases solides ». Et, le 4 août, avant d’abolir les droits féodaux dans la célèbre nuit, elle déclarera à la quasi-unanimité que la Constitution sera précédée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen constitue non seulement une référence universelle qui inspirera de nombreuses constitutions et, un siècle et demi plus tard, la déclaration universelle des Droits, mais elle   fonde de façon magistrale le principe d’égalité devant l’impôt et celui de son consentement à travers les articles 13 et 14 :

article 13 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » article 14 : « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Ces deux articles, rappelés dans presque toutes les décisions fiscales du Conseil constitutionnel, se traduisent aujourd’hui chaque année par le vote de l’article 1er de la Loi de finances qui « autorise, pour l'année, la perception des ressources de l'État et des impositions de toute nature ...».

 

[1] Christian Monjou « Question fiscale et révolution, l’exemple américain » Regards croisés sur l’économie , 2007/1 La découverte (en ligne sur Cairn)