En refusant en juillet 2007 de donner un coup de pouce au smic et de revaloriser la prime pour l'emploi au moment où il distribuait 14 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux plus fortunés de nos concitoyens, Nicolas Sarkozy a jeté l'une des bases du profond mécontentement qu'il recueille aujourd'hui. Pour celui qui s'autoproclamait le président du pouvoir d'achat et de la revalorisation du travail, cette première décision économique fut non seulement une erreur politique et une profonde injustice ; ce fut aussi dans le contexte conjoncturel actuel une erreur économique majeure.
Car, avec une forte accélération de l'inflation depuis l'été 2007, ce sont les salariés les plus modestes qui sont les plus touchés par l'amputation de leur pouvoir d'achat. Et aucun des arguments traditionnellement avancés pour critiquer le smic ne tient la route dans le contexte français. Ni l’écrasement de la hiérarchie des salaires, ni l’affaiblissement de la négociation collective, ni son impact sur l’emploi…
Vous trouverez ci joint la suite de l'article que j'ai publié sur ce thème avec Harlem Désir dans le Monde daté du 4 avril 2008
Le smic écrase-t-il la hiérarchie des salaires ? Non. Comme le montrent les rapports successifs du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, la hiérarchie des salaires est comparable en France à celle des autres pays européens et beaucoup moins resserrée qu'en Europe du Nord. Le rapport du salaire moyen des 10 % de salariés les moins bien payés au salaire médian est comparable en France à celui des autres pays européens. Ce que le smic empêche, c'est l'apparition de très bas salaires conduisant à la pauvreté au travail. C'est d'ailleurs pour cette raison que dans des pays où l'on s'en remettait jusqu'ici aux seules conventions collectives pour fixer les salaires, comme l'Allemagne, on envisage désormais l'instauration d'un salaire minimum pour éviter les abus et l'apparition de travailleurs pauvres dans des secteurs peu syndiqués.
Le smic se substitue-t-il à la négociation collective ? L'argument conservateur traditionnel pour fustiger le rôle du smic s'appuie sur deux particularités françaises. Tout d'abord, le rôle prépondérant du smic dans la fixation des bas salaires, qu'atteste le nombre élevé des salariés payés au salaire minimum en France relativement aux autres pays. Ensuite, le fait qu'à chaque relèvement du smic, les minima des grilles salariales négociées dans certaines branches deviennent inférieurs au smic. Accuser le smic de ces particularités, c'est prendre le problème à l'envers : cette situation est due à la faiblesse de la négociation collective en France. En quoi le fait de ne pas revaloriser le smic remédierait-il à la faiblesse de cette négociation ? Il en résulterait ce qu'observent certains pays européens dans les branches les moins syndiquées : des salaires très bas pour les salariés les moins qualifiés et les moins en position de se défendre.
En empêchant l'apparition d'emplois à très bas salaires, le smic nuit-il à l'emploi ? Comme l'ont montré nombre d'études, les allégements de cotisations sur les bas salaires ont eu pour conséquence d'empêcher que les hausses du smic ne se répercutent en augmentation du coût du travail. De ce fait, même dans la première moitié des années 2000 où le smic horaire a progressé rapidement en raison de la convergence des différents salaires minima, la hausse est restée inférieure à celle de la productivité du travail.
Les exemples étrangers ne confortent d'ailleurs guère la vision selon laquelle l'existence d'un salaire minimum réduirait l'emploi. Aucun effet n'a pu être mis en évidence au Royaume-Uni depuis l'instauration d'un salaire minimum et certains travaux soulignent même des effets opposés : l'instauration d'un salaire minimum peut dans des secteurs où existe une pénurie de main-d'oeuvre attirer des salariés et augmenter l'emploi.
En outre, dans une situation où la hausse des prix ampute le pouvoir d'achat des ménages les plus modestes et pèse sur la demande, la proposition que nous, socialistes, réitérons depuis l'été de revalorisation du salaire minimum et d'augmentation de 50 % de la prime pour l'emploi que touchent les 9 millions de salariés les plus modestes répond non seulement à une profonde injustice, mais est également la réponse pertinente à la situation conjoncturelle actuelle.
Un relèvement du salaire minimum doit s'accompagner dans notre pays d'un renouveau de la négociation collective. Dans les pays scandinaves, le niveau des salaires de base est supérieur à ceux pratiqués en France et le taux de syndicalisation qui permet de garantir ce résultat y est élevé. D'une façon générale, la réussite économique des social-démocraties du nord de l'Europe n'a pas reposé sur une stratégie d'affaiblissement du système social ou de développement des bas salaires, mais sur un investissement massif dans la recherche, l'université, l'innovation, la formation et la sécurisation des parcours professionnels. C'est là qu'est la véritable solution à notre problème de compétitivité.
Comme le rappelait Philippe Askenazy (Le Monde du 26 mars), la proposition de porter le smic à 1 500 euros d'ici à la fin de la législature que nous faisions pendant les campagnes présidentielle et législative prend tout son sens dans le contexte économique actuel. Articulée comme nous le proposions au conditionnement des allégements de cotisations sociales au développement de la négociation salariale, et à l'augmentation de la prime pour l'emploi, elle reste la réponse pertinente à la question du pouvoir d'achat.
Ce n'est pas la voie prise par M. Sarkozy qui préféra les cadeaux fiscaux aux plus fortunés. Au lieu de bâtir une politique économique cohérente et adaptée à la conjoncture, la droite française crut trouver son inspiration dans la révolution conservatrice américaine au moment où l'on s'en détournait dans sa patrie d'origine. Ce n'est pas en imitant les moins bons Américains que la France rejoindra les meilleurs Européens.
Harlem Désir est député socialiste européen. Pierre-Alain Muet est député PS du Rhône, ancien président délégué du Conseil d'analyse économique.