Si, comme c’est malheureusement probable, les prévisions de l’INSEE se vérifient, la France connaitra cette année l’une des plus fortes récessions de son histoire, avec trois trimestres successifs de recul du PIB. Officiellement, la récession aurait donc commencé en mars avec le recul de 0,4 % du PIB au second trimestre. En réalité, elle avait commencé bien avant, car la consommation et le pouvoir d'achat étaient déjà en baisse depuis le début de l'année. La crise mondiale n’a fait qu’ajouter une couche de déprime à une économie déjà en panne de confiance et de croissance
Vous trouverez dans la suite de cette note mon interview publiée dans l'hebdo des socialistes du samedi 4 octobre
« La politique de Nicolas Sarkozy est l’application intégrale du credo libéral »
(paru dans l'hebdo des socialistes du samedi 4 octobre 2008)
Dans son intervention consacrée à l’économie, le 25 septembre, à Toulon, Nicolas Sarkozy a enfin reconnu que la France entrait dans une phase de récession. Pour lui, ce recul est exclusivement le fruit de la crise financière venue des États-Unis. Pierre-Alain Muet, député PS de Lyon et ancien président délégué du Conseil d’analyse économique, juge l’explication facile et un peu courte. Selon lui, une crise de confiance spécifique à la France, dont le gouvernement est seul responsable, a affaibli l’économie française bien avant que la crise financière produise ses effets. Pour l’Hebdo, il décrypte les effets d’une politique économique vaine, fondée sur l’incantation et l’agitation.
Quel est votre sentiment général sur l’analyse de la crise financière que Nicolas Sarkozy a développée dans son discours de Toulon, le 25 septembre ?
Celui d’un décalage total entre un discours sur la nécessité d’une régulation mondiale et la politique qu’il conduit depuis qu’il est au pouvoir. Comment peut-on plaider sérieusement pour la régulation de l’économie mondiale, quand on pratique dans son propre pays la dérégulation systématique ! Toute la politique de Nicolas Sarkozy depuis 16 mois, c’est l’application intégrale du credo libéral : dérégulation du marché des biens avec la loi dite de « modernisation de l’économie » votée il y a quelques mois, dérégulation du marché du travail avec la loi ouvrant la porte au démantèlement du droit du travail en juillet, désengagement de l’État dans les services publics…
Quand il était ministre des finances en 2004 et pendant la campagne présidentielle, il faisait l’apologie du crédit hypothécaire en souhaitant que la France s’inspire des États-Unis et du Royaume-Uni dans ce domaine. Or ce crédit hypothécaire non régulé est en grande partie à l’origine de la crise actuelle !
Il a parlé d’un système « fou ». Qu’est ce qui, caractérise pour vous la folie du système financier aujourd’hui ?
Ce qui est fou, c’est la déconnexion entre le système financier et l’économie réelle. Cette déconnexion résulte de la libéralisation des mouvements de capitaux à travers le monde et de deux décennies de dérégulation financière. La finance est devenue une activité « industrielle » inventant continuellement de nouveaux produits financiers et recherchant des taux de rentabilité qui ne correspondent pas à l’économie réelle.
Les crises financières sont aussi anciennes que le capitalisme. Si les mécanismes qui les déclenchent diffèrent (les prêts hypothécaires dans la crise actuelle, la bulle internet dans la crise précédente), le scénario est toujours le même : une phase de spéculation excessive nourrie par l’endettement qui conduit à un effondrement de la valeur des actifs financiers et entraîne une crise bancaire qui risque à son tour de faire s’effondrer le système des paiements.
La régulation du système bancaire mise en place dans l’après-guerre pour éviter que des crises comme celle de 1929 ne se reproduisent a permis, pendant toute la période de Bretton-Woods, d’éviter que les crises des marchés financiers conduisent à des faillites bancaires. Mais cette régulation bancaire s’avère totalement inefficace, dès lors que les marchés financiers se substituent au crédit bancaire et que toute sorte de fonds spéculatifs non régulés accordent des crédits et interviennent en permanence sur les marchés financiers.
Le paroxysme a été atteint avec le phénomène de « titrisation » qui consiste à transformer des crédits en titres vendus sur les marchés financiers. Non seulement on perd toute traçabilité du risque qui se dissémine dans tout le système bancaire mondial, mais comme l’établissement qui ouvre le crédit n’en supporte pas le risque, il a tendance à prendre plus de risques. C’est ainsi que la bulle spéculative s’est développée et que, lorsqu’elle a éclaté, la crise s’est diffusée au monde entier.
Avez-vous noté des grands écarts entre le Sarkozy d’avant la crise et celui d’après ?
Avec ce discours, il est passé de l’agitation à l’incantation. Mais le résultat sera le même, car on ne gère efficacement l’économie ni par l’incantation, ni par l’agitation.
L’incantation, c’est un discours sur la régulation sans aucune mesure concrète à l’appui. L’agitation, cela a été l’accumulation depuis un an de lois soi-disant sur le pouvoir d’achat, toutes aussi inefficaces les unes que les autres, car leur unique caractéristique était de contourner la seule vraie mesure de pouvoir d’achat : la hausse des revenus salariaux. Nous avons eu droit par exemple, la semaine dernière, à ce projet de loi stupéfiant où le gouvernement dit en quelque sorte aux salariés : « Comme nous ne pouvons pas augmenter vos salaires, cassez votre tirelire (en liquidant votre épargne) pour boucler vos fins de mois » !
Le grand écart, on le retrouve surtout entre les deux parties de son discours. Un discours étonnant sur la régulation mondiale dans la première partie et une apologie des réformes de son gouvernement dans la deuxième partie dont le seul mot d’ordre est : ne rien changer, c'est-à-dire continuer la dérégulation de l’économie française !
La fin des parachutes dorés, la réglementation des banques… Que pensez-vous des solutions avancées à Toulon ?
La fin des parachutes dorés, le PS la propose dans tous les amendements que nous avons déposés au Parlement lors des débats sur le budget ou sur le pouvoir d’achat. En réponse à nos amendements, le gouvernement s’était engagé, lors du débat sur le paquet fiscal en juillet 2007, à y apporter une réponse. On découvre aujourd’hui qu’il n’en est rien.
De même, Nicolas Sarkozy a eu cette formule étonnante sur les stocks options : « Il ne doit pas y avoir de stocks options pour les dirigeants si les salariés ne sont pas également intéressés aux résultats ». Or cette proposition, le groupe socialiste l’a faite à l’Assemblée dans un amendement au projet de loi sur l’intéressement, deux jours avant que Sarkozy ne prononce son discours. Le ministre Bertrand s’y est opposé et la majorité UMP a voté contre ! Qui faut-il croire : le ministre ou la énième promesse du président de la République ?
Comment réformer véritablement le capitalisme financier ?
On ne peut pas se contenter d’éteindre l’incendie en sollicitant le contribuable pour empêcher l’effondrement du système bancaire. Il faut mettre en place les régulations que nous proposons depuis longtemps.
Il faut tout d’abord élargir le périmètre des institutions soumises à la règlementation bancaire. La crise a été déclenchée par des sociétés distribuant des crédits sans être soumises à la règlementation bancaire dans leur pays. C’est aussi ce type de sociétés de crédit non bancaire qui est à l’origine de la crise économique profonde du Japon dans les années 1990.
Il faut ensuite accroître la régulation bancaire. Une première étape consiste à mettre rapidement en application les accords dits « Bâle II » qui réintroduisent dans le bilan des banques les crédits titrisés. Il faut également aller plus loin en obligeant les banques émettrices du crédit initial à porter une partie du risque final. Et puisque les agences de notations exercent une mission de service public, il faut qu’elles soient également soumises à un contrôle public.
Plus généralement, la crise financière a-t-elle déjà des effets en Europe et particulièrement en France ?
Elle s’est déjà étendue aux systèmes bancaires européens et français et le ralentissement économique est à l’oeuvre partout depuis quelques mois. En France, les déposants sont heureusement protégés par la Loi mise en place en 1999 sous le gouvernement de Lionel Jospin qui assure les dépôts jusqu’à 70 000 euros. Mais nous ne sommes pas à l’abri de la récession !
La France est-elle suffisamment armée pour résister à la récession ?
Malheureusement non ! La France connaît une grave crise de confiance et un déficit de croissance, et cela, bien avant qu’apparaissent les effets de la crise mondiale. Notre pays est resté à l’écart de la croissance européenne ces dernières années et nous avons creusé nos déficits et notre dette quand tous les autres pays mettaient à profit la reprise européenne pour les réduire.
Comme le gouvernement n’a aucune marge de manœuvre, puisqu’il les a dilapidées l’an dernier avec le paquet fiscal, il construit un budget d’austérité là où il faudrait au contraire soutenir l’activité économique. Non seulement ce budget d’austérité va accentuer le ralentissement de l’économie, mais de l’avis de la plupart des conjoncturistes, notre pays risque en outre de dépasser, en 2009, le seuil des 3 % de déficit public.
Quelle politique faudrait-il mettre en œuvre ?
Notre capacité à résister à la crise internationale dépend non seulement de la confiance, mais de la progression rapide et forte du pouvoir d’achat. Pendant toute la période où la gauche était au pouvoir, la progression du pouvoir d’achat du revenu des ménages a été chaque année supérieure à 3 % en raison notamment des fortes créations d’emploi. Cela a permis à la France de traverser la crise asiatique de 1998 en conservant une croissance forte, alors que l’économie mondiale connaissait un net ralentissement. Or en démantelant la politique de l’emploi et en oubliant le pouvoir d’achat, le gouvernement a éteint tous les moteurs internes de la croissance. Il faut les rallumer.
Nos propositions sur le pouvoir d’achat (SMIC, prime pour l’emploi, politique de l’emploi, chèque transport) restent totalement d’actualité et pourraient être aisément financées par la remise en cause du paquet fiscal. En outre, comme nous le proposions dans notre projet, il faut moduler le taux de l’IS pour favoriser l’investissement plutôt que la rente. Bref agir de façon cohérente sur l’offre et la demande.
Propos recueillis par Ariane Gil