A l’occasion des 20 ans du Conseil d’Analyse économique, le CAE a organisé un débat sur le thème « les économistes dans la cité » et publié sous le même titre une note traitant des relations entre les économistes universitaires, le monde de la décision publique et celui des médias... Ce fut l’occasion pour moi de réagir sur les propositions de la note et d’évoquer les idées qui ont conduit à la création du CAE, dès les premiers jours du gouvernement de Lionel Jospin.
J’ai notamment insisté sur l’importance du pluralisme des idées et des opinions, car ce que les politiques attendent, ce n’est pas des propositions clefs en main, mais un éclairage sur les différents points de vue et les différentes options possibles.
Dans la suite, le texte de mon intervention :
Je partage complètement la première proposition qui concerne le code de déontologie personnelle :
- Débattre des idées, jamais des personnes,
- Ne jamais dire ou écrire en conseillant le politique ou en participant au débat public dans les médias quelque chose qu’on ne serait pas prêt à défendre devant ses pairs,
- Ne pas s’exprimer sur des sujets dont on a une connaissance trop vague
Ce code résume parfaitement ce qu’a été la déontologie implicite du CAE. En particulier le fait que les économistes s’expriment devant le Premier Ministre en présence de leurs pairs a toujours conduit les plus politiques d’entre eux à être très attentif à s’exprimer d’abord en économistes.
Je suis moins convaincu par la 2ème proposition : un panel d’expert interrogé chaque mois avec publication des réponses agrégées, qui conduirait à une forme de gouvernement des économistes. Je pense que le pluralisme des idées et des opinions est indispensable pour éclairer les choix politiques, mais que ces choix doivent rester avant tout des choix politiques.
De quelle façon les économistes peuvent être utiles à la décision politique ?
Si vous posez la question à mes collègues députés de toute sensibilité ils vous répondront sans hésiter : les éclairer sur les différents points de vue et les différentes options possibles. C’est d’ailleurs très exactement ce que nous faisons dans le cadre des missions d’information parlementaires qui sont pluralistes par construction avec un président de l’opposition, un rapporteur de la majorité et des représentants des différentes sensibilités. Elles consacrent beaucoup de temps à auditionner les différents experts et les différents points de vue pour éclairer la décision publique et le débat parlementaire. Elles aboutissent parfois et même assez souvent sur certains sujets à des propositions consensuelles mais ce qui fait l’intérêt de ces missions d’information pour le Parlement c’est d’abord la richesse des auditions.
S’agissant de l’exécutif dont l’administration a souvent pour habitude de proposer un seul point de vue et une seule politique, j’ai toujours pensé que le rôle des économistes universitaires c’était d’éclairer l’exécutif sur les différents points de vue et les différentes options et non de faire le même travail que les administrations économiques. C’est cette idée qui a été à l’origine du CAE.
Quand nous l’avons créé en juillet 2017 il avait 4 caractéristiques :
- Comme le Council of Economic Advisor, il était animé par un économiste professionnel, membre du cabinet du PM qui participait donc directement à toutes les décisions de politique économique. Et comme ces décisions économiques et sociales étaient toujours prises par le Premier Ministre lors de réunions avec le ministre de l’économie et des finances et la ministre de l’emploi et des affaires sociales, ces 2 ministres se sont également entourés de chefs économistes (Jean Pisani-Ferry et Olivier Davanne) qui sont devenus membres du CAE
- A la différence du Conseil américain il était pluraliste. Le pluralisme des sensibilités et des compétences a conduit à conseil relativement important. - Il pouvait s’appuyer sur les administrations économiques qui contribuaient à ses rapports et dont les directeurs étaient membres du CAE.
- Contrairement au conseil des sages allemands la CAE n’avait pas vocation à rechercher le consensus c’était au contraire les points de vue des différents membres qui intéressaient le PM.
- Enfin le premier ministre souhaitait écouter directement les travaux des membres CAE selon des modalités qui restaient à définir. Et ce sont les 1ères réunions qui ont permis de trouver la bonne façon de le faire.
Pensée unique ou cacophonie ?
Avec un conseil pluraliste il n’y avait aucun risque du côté de la pensée unique... Et contrairement à ce qu’on pouvait craindre il n’y a jamais eu de cacophonie. Lors des premières réunions, le tour de table qui suivait la présentation des rapports était long mais passionnant. Par ailleurs j’invitais les membres du cabinet concerné à suivre ces débats de sorte qu’avant même que le PM écoute les rapports le cabinet baignait dans les travaux.
J’imaginais initialement une présentation par les auteurs et les discutants. Et c’est en l’écoutant que je me suis dit qu’il fallait trouver une modalité pour restituer la richesse du débat au PM
Le fait que les membres du cabinet puis le PM écoute directement les opinions avait un impact considérable sur le débat politique au sein du cabinet et du gouvernement. La Prime pour l’emploi a été par exemple directement inspirée par le rapport de François Bourguignon « Fiscalité et Redistribution ».
Parfois c’est le PM lui-même qui faisait référence à ce qu’il avait entendu lors des réunions du CAE comme lors d’ une réunion d’arbitrage sur les mécanismes des permis d’émission négociable où Lionel Jospin arrête la réunion avant de trancher pour avoir le temps de se remémorer les arguments qu’il avait entendus au CAE.
Cela a changé aussi la nature de certains rapports au Premier ministre.
Cela a été le cas notamment du Rapport Malinvaud sur la réforme des cotisations patronales. Lionel Jospin souhaitait demander à Edmond Malinvaud un rapport au Premier ministre sur un sujet qui avait été avancé dans la campagne – le transfert des cotisations patronales sur la valeur ajoutée - mais qui divisait les économistes et les politiques. Quand j’ai annoncé à Edmond Malinvaud l’intention de Lionel Jospin, il m’a répondu « j’accepte de faire un rapport avec une lettre de commande du premier ministre, mais puisque vous m’avez demandé en 2007 d’être membre de votre conseil d’analyse économique, je souhaite qu’il soit fait et discuté dans le cadre de ce conseil ». C’est ainsi qu’ont été inaugurés à la fois des rapports du CAE sur la base d’une lettre de mission du Premier ministre et des « rapports au Premier ministre » mais avec deux discutants et précédés par un débat au sein du CAE avant d’être remis solennellement au Premier ministre.
Bref le meilleur service que les économistes peuvent rendre au politique c’est de leur présenter l’état des connaissances sur un sujet. Car gouverner c’est choisir. Et ce choix a d’autant plus de chance d’être pertinent qu’il est éclairé en amont par un débat contradictoire.