Cette note constitue la version longue d’un article publié dans Alternatives Economiques
La première loi de finance d’un quinquennat a toujours un caractère particulier : elle est en général la traduction des engagements du Président nouvellement élu et colore la suite du quinquennat. Le paquet fiscal de l’été 2007 et le premier budget de Nicolas Sarkozy illustraient l’économie du ruissellement, multipliant les cadeaux fiscaux aux plus fortunés, jusqu’à ce que cette politique s’écrase sur le mur de la crise. Le budget de François Hollande pour 2013 introduisait certains éléments de justice du programme du candidat, mais la frénésie fiscale de Jérôme Cahuzac, multipliant les prélèvements pour boucler un budget censé respecter la règle des 3 %, aboutit au « ras-le bol-fiscal » conduisant le Président Hollande à abandonner toute réforme significative de l’impôt sur le revenu. Le Projet de Loi de Finances pour 2018 reprend les principales propositions du candidat Macron en étalant certaines mesures pour respecter la contrainte budgétaire. Le résultat est un budget pour 2018 qui a un parfum de 2007 : les grands gagnants sont clairement les plus fortunés de nos concitoyens et même la petite minorité des plus grandes fortunes de France.
Entre les mesures en faveur des grandes fortunes et les mesures en faveur du pouvoir d’achat vantées dans le petit livret jaune distribué par le gouvernement, ce sont ces dernières qui ont fait les frais des arbitrages présidentiels. Les baisses d’impôts pour les plus riches (quasi-suppression de l’ISF : 3,2 Mds et flat tax sur les revenus de l’épargne : 1,3 Mds) interviennent dès le 1er janvier 2018, comme les hausses d’impôts qui touchent tout le monde : hausse de la CSG, du tabac et des carburants. La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des contribuables est étalée sur 3 ans, la baisse des cotisations salariales se fera en deux temps (janvier et octobre). Les hausses du minimum vieillesse, de la prime d’activité, du complément de mode de garde des familles monoparentales, sont décalées en cours d’année ou même en fin d’année pour l’allocation pour adulte handicapés. Compte tenu de ces décalages et des hausses d’impôt oubliées dans le « livret jaune », on est très loin du prétendu 13ème mois évoqué par le ministre du budget Gérald Darmanin.
Mais surtout, plus de la moitié des 7 milliards de baisse nette d’impôts prévues pour 2018 concernent les 2 % de nos concitoyens les plus riches. L’autre moitié bénéficie un peu aux autres, mais l’impact en sera effacé par l’augmentation des prix des carburants et du tabac. Quant à la grande majorité des retraités, ils subissent de plein fouet la hausse de la CSG. La fiscalité des entreprises change peu : la baisse de l’IS était déjà votée dans le quinquennat précédent et le CICE est légèrement diminué avant d’être transformé en allègement de cotisations l’année suivante.
Un chèque aux très grandes fortunes 4 fois supérieur au bouclier fiscal de Sarkozy
Depuis l’abrogation de l’IGF par Jacques Chirac en 1986, aucun gouvernement de droite n’avait osé s’attaquer ouvertement à l’ISF. Convaincu que cette abrogation lui avait fait perdre la présidentielle de 1988, Jacques Chirac se garda bien de le supprimer quand il revint au pouvoir en 1995. En 2006 de Villepin introduisit un bouclier fiscal de 60 % du revenu pour en réduire l’impact. Et quand Nicolas Sarkozy fit passer ce bouclier à 50 % en 2007, il porta comme un boulet tout au long de son mandat ce chèque de 700 millions d’euros aux plus grandes fortunes jusqu’à sa suppression en 2011 et son remplacement par une réduction de 1,8 Mds de l’ISF. Cette fois, le chèque n’est ni de 700 millions ni de 1,8 Mds, mais de 3,2 Mds auxquels s’ajoutent les 1,3 Mds de la flat tax sur les revenus de l’épargne. Deux réformes que le candidat Macron avait présentées dans sa campagne comme un réaménagement à coût modeste (ou nul pour la seconde) de la fiscalité du capital.
La transformation d’un ISF de 4,2 Mds en un impôt sur le seul patrimoine immobilier de moins d’un milliard d’euros bénéficie essentiellement aux plus grosses fortunes. En effet, plus le patrimoine est important, plus les placements financiers en constituent la plus grande part. Le graphique suivant issu de l’étude de Bertrand Garbinti, Jonathan Goupille-Lebret et Thomas Piketty montre que le patrimoine de nos concitoyens les plus modestes est constitué essentiellement de dépôts bancaires. L’immobilier constitue la part la plus importante du patrimoine des classes moyennes alors que les très gros patrimoines sont essentiellement constitués de placements financiers. Ces placements financiers représentent la moitié du patrimoine des 10 % les plus riches, 65 % du patrimoine des 1 % les plus riches et 85 % du patrimoine des 0,1 %
Composition du patrimoine des Français selon l’importance du patrimoine
Source : Bertrand Garbinti, Jonathan Goupille-Lebret et Thomas Piketty
Et pour aller au bout de l’injustice, la réforme exclut les bateaux, les jets privés, les hélicoptères... Le retraité de l’Ile de Ré continuera à payer le nouvel impôt alors que le possesseur d’un yacht ou d’un gros portefeuille d’actions qui lui permet de s’enrichir en dormant en sera exonéré.
Le retour de l’idéologie du ruissellement
Cela favorisera-t-il l’investissement comme le prétend le Président ? Aucune étude ne permet de le penser. Rien n’empêchera le patrimoine économisé d’être investi en actions étrangères ou en actifs rentables mais peu risqués. Cela pourrait même avoir l’effet inverse avec la disparition du dispositif ISF-PME qui permettait de bénéficier d’une réduction d’ISF égale à la moitié de la somme investie dans une PME. Les 500 millions d’euros qui allaient ainsi chaque année par ce dispositif en direction des PME risquent de se tarir au profit de placements moins risqués. Ce retour de l’idéologie du ruissellement qui prétend que la meilleure façon d’aider les pauvres est d’accorder des cadeaux fiscaux aux riches pour que la richesse ruisselle jusqu’au bas de l’échelle des revenus, n’a pas plus de chance de réussir que les expériences précédentes, dont le seul résultat avéré a été une explosion des inégalités.
Le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, qui prend l’exact contre-pied de la réforme Hollande de 2012 dont le « chef économiste » s’appelait Emmanuel Macron, est également un cadeau aux plus riches. Remplacer les différents prélèvements y compris sociaux par une flat tax unique de 30 % va conduire à une forte baisse de la fiscalité pour les revenus financiers. Avec des prélèvements sociaux sur les revenus de l’épargne qui passeront de 15,5 % à 17,2 % avec la hausse de la CSG, le taux de l’impôt sur ces revenus ne dépassera pas 12,8 % (30 % moins 17,2 %). C’est une mesure d’autant plus injuste qu’elle va toucher les nouveaux contrats de plans d’épargne logement. Quand un contribuable modeste ouvre un PEL, c’est pour acheter un logement et non pour prendre des risques en bourse. Les gouvernements précédents – de gauche ou de droite - avaient toujours préservé l’épargne populaire.
Suppression des emplois aidés : une injustice et une erreur économique
Du côté dépenses, la suppression d’une grande partie des emplois aidés, jamais annoncée par le candidat dans la campagne présidentielle, est à la fois une injustice et une erreur économique. Les emplois aidés sont non seulement un tremplin vers l’emploi durable notamment pour les jeunes, mais bien utilisés dans le cycle conjoncturel, ils contribuent à réamorcer le cercle vertueux « emploi-revenu-croissance ». La création directe d’emplois dans le secteur non marchand, quelle qu’en soit la forme (emplois jeunes sous Jospin, emplois aidés en 2006 sous Borloo ou emplois d’avenir sous Ayrault), est la mesure la plus appropriée à relancer l’économie, car en augmentant le revenu du salarié qui retrouve ou trouve un emploi elle augmente le revenu national. La création d’emploi est en effet le principal facteur d’augmentation du revenu national et c’est de très loin la mesure qui a l’impact le plus rapide sur l’activité.
Les supprimer met aussi en grande difficulté les collectivités locales. Or la réduction du déficit des finances publiques ne résulte pas d’un effort de l’Etat dont le déficit se creuse de 76,5 Mds en 2017 à 82,9 en 2018, mais des multiples efforts imposés aux collectivités locales et aux comptes sociaux.
Bref, le premier budget d’un président qui prônait dans sa campagne une politique de droite et de gauche est clairement de droite et ... de droite.