La nuit où Lady Diana est morte (Article du Progrès)

27
Aoû
2017

La nuit de l’accident de Lady Di, il y a 20 ans, Pierre-Alain Muet était en faction à Matignon. Pour la première fois, il relate ses souvenirs de ces instants de crise, dont il a consigné la chronique dans le cahier de permanence.

Par Francis Brochet - 27 août 2017 (Progrès de Lyon et quotidiens régionaux du grand est)

Le cahier de permanence de Matignon du dimanche 21 août, ici reproduit - Photo DR

« 1 h 30 Le cabinet du préfet m’informe de l’accident grave survenu à l’Alma à Lady Diana. » Nous sommes la nuit du samedi 30 au dimanche 31 août 1997. Pierre-Alain Muet, conseiller économique du Premier ministre Lionel Jospin, écrit ces lignes dans le cahier de permanence de Matignon. Les premières d’une très longue nuit... Le conseiller avait commencé à s’assoupir, dans l’appartement de la rue Vanneau, près de Matignon, mis à disposition du permanencier.

La gestion du débarquement d’un commando d’indépendantistes d’Anjouan à Mayotte avait déjà bien occupé sa soirée. Et sa première réaction, après la nouvelle de l’accident de l’Alma, est de retourner se coucher. Son épouse, Simone Muet, l’en dissuade aussitôt : responsable de la communication internationale chez France Telecom, elle a saisi le caractère exceptionnel de l’information. « Diana était une icône, ça ne pouvait pas être qu’un accident de la circulation ! »

300 ou 400 coups de téléphone

Pierre-Alain Muet dispose d’un premier bilan de santé de la blessée, qu’il consigne dans le cahier : « Traumatisme crânien, coma vigile, fracture de l’épaule et du bras droit. Traumatisme thoracique et abdominal ». L’accident est survenu à 0 h 25. À 0 h 27, Samu et pompiers de Paris ont été prévenus. Ils ont constaté la mort de Dodi Al-Fayed, le compagnon de la princesse, puis celle du chauffeur. L’état de Lady Diana est si grave qu’ils décident de la soigner sur place.

Elle sera transférée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière une heure plus tard. À 1 h 40, le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement se rend à l’hôpital. Il y est rejoint par l’ambassadeur de Grande-Bretagne, Michael Jay, qui a prévenu son gouvernement et Buckingham Palace. Le permanencier de Matignon en informe son homologue de l’Intérieur. « J’ai dû passer et recevoir 300, 400 coups de téléphone dans la nuit », se souvient Pierre-Alain Muet.

« Je vois encore Pierre-Alain avec son pantalon à moitié enfilé, sourit Simone Muet. Je crois qu’il n’a pas pu finir de s’habiller de la nuit. » Le téléphone mobile est alors peu répandu. À son bureau de permanence, Pierre-Alain Muet a devant lui deux téléphones fixes : l’interministériel, et celui relié aux standardistes de Matignon (« des professionnels extraordinaires » ). Les deux ne cessent de sonner, lui laissant à peine le temps de consigner les événements les plus importants dans le cahier de permanence. « Je n’avais pas le temps de prendre du recul, raconte le conseiller. J’étais informé de tout, je validais, je tranchais. J’ai dû décider du nombre de Gardes républicains, quand le protocole hésitait... Et j’ai vérifié cette nuit-là que la machine administrative française fonctionne admirablement. »

Réveiller Jospin ?

Reprenons le cahier de permanence de Matignon. « 2 h 00 - Téléphone à Olivier Schrameck pour l’informer : informer PM demain matin ». Il s’agit du directeur de cabinet de Lionel Jospin, son bras droit à Matignon. Chacun loue son intelligence et sa puissance de travail, mais le haut fonctionnaire Olivier Schrameck est un piètre politique. Pas question pour lui de réveiller le Premier ministre qui dort dans un hôtel de Rochefort, près de La Rochelle. Il doit y délivrer dimanche un discours important devant l’université d’été du PS. Et Diana, divorcée du Prince Charles, est une personne privée en voyage privé.

Changement de registre à 3 heures. Jean-Pierre Chevènement informe Pierre-Alain Muet du pronostic pessimiste des médecins. Il insiste pour réveiller le Premier ministre et le faire revenir à Paris en cas de décès. Pierre-Alain Muet hésite. Il laisse un message sur le portable de Manuel Valls, alors conseiller communication du Premier ministre. Et l’Élysée ne répond toujours pas. Toute la nuit, un permanencier expliquera que « le président dort », laissant Matignon gérer la crise (lire par ailleurs).

« 4 h 10 J.-P. Chevènement m’informe du décès de Lady Diana. » Pierre-Alain Muet rappelle aussitôt Olivier Schrameck, puis Aquilino Morelle, le conseiller politique de Lionel Jospin, également à La Rochelle. Cette fois, plus de doute : le Premier ministre reviendra à Paris. On le laisse encore dormir une heure, avant de le réveiller.

Chirac accueille le Prince

Au même moment, à Londres, le Premier ministre Tony Blair prend la mesure de l’événement. Mais pas Elizabeth II ni le Prince Charles, qui publient un communiqué d’une terrible brièveté : « La reine et le prince de Galles sont profondément choqués et bouleversés ». « 7 h 15 Lionel Jospin au téléphone décolle à 8 h 00. » Peu avant, l’ambassadeur de Grande-Bretagne a appelé, lit-on dans le cahier : « Buckingham très touché du geste de LJ ». La nuit s’achève. Les conseillers des différents ministères concernés par le drame ont rejoint leurs bureaux. L’Élysée répond enfin. Dans l’après-midi, Jacques Chirac accueillera le Prince Charles venu se recueillir devant la dépouille de son ancienne épouse et la ramener au Royaume-Uni. Sa permanence achevée, Pierre-Alain Muet redevient conseiller économique. « Je pense, se souvient-il, que j’ai dû aller me coucher tout de suite après. »