Repousser l’âge de la retraite : une réforme inutile et injuste

22
Jan
2023

Le paradoxe de la situation actuelle, c’est qu’il n’y a pas de nécessité à faire une réforme paramétrique des retraites puisque, comme le souligne le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) de septembre 2022, malgré le vieillissement progressif de la population française, la part des dépenses de retraites dans le PIB resterait, à législation inchangée, sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon 2070 et en général sur une trajectoire décroissante.

Ce résultat, qui était déjà souligné dans les rapports antérieurs du COR, peut paraître étonnant compte tenu du vieillissement attendu de la population qui alourdira le nombre de retraités au regard du nombre de cotisants. Mais il tient à la déconnexion entre l’indexation des retraites et celle des salaires. Les retraites sont indexées sur le prix depuis la réforme Balladur qui a supprimé leur indexation sur les salaires, alors que les salaires réels augmentent à long-terme comme la productivité du travail.

La croissance de la productivité du travail a donc pour conséquence que les salaires individuels augmentent plus vite que les retraites individuelles et cela fait plus que compenser l’augmentation relative du nombre de retraités, notamment lorsque cette croissance de la productivité est rapide.

Le graphique suivant issu du rapport du COR montre qu’à l’horizon de la projection (2070) les dépenses de retraites en % du PIB seraient stables dans l’hypothèse la plus pessimiste de faible croissance de la productivité du travail (0,7 % par an, courbe marron) et diminueraient dans toutes les autres hypothèses de croissance de la productivité (croissance de 1% par an, courbe orange ; 1,3 % courbe bleue ; et 1,7 % courbe verte). Cette part progresse légèrement en revanche jusqu’au début des années 2030 avant de se réduire ensuite.

Comme le souligne le COR, « Les résultats du rapport ne valident pas le bien fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites ».

La suite de cette note montre que non seulement cette réforme est inutile mais qu’en augmentant l’âge légal auquel on peut faire valoir ses droits à la retraite de 62 à 64 ans, elle est profondément injuste, car elle ne va toucher que les salariés qui ont commencé tôt, font souvent les travaux les plus pénibles et sont les plus modestes.

Un déficit faible et transitoire qui fait place à long terme à un excédent

Le système des retraites qui est excédentaire de 900 millions en 2021 et 3 Mds en 2022 deviendrait modérément déficitaire dans les dix à vingt prochaines années avant de devenir à nouveau excédentaire à partir de 2040, dans l’hypothèse où l’état maintiendrait sa contribution en % du PIB au même niveau qu’aujourd’hui (convention dite à Effort de l’Etat Constant EEC). Si le système des retraites était financé uniquement par des cotisations, l’évolution du déficit à taux de cotisation inchangé, résulterait seulement de l’évolution des dépenses (en % du PIB). En effet, la part des salaires dans le PIB étant stable, les recettes à taux de cotisation inchangé seraient également stables en % du PIB. Or, les cotisations ne représentent que les 2/3 des recettes ; l’autre tiers résulte des transferts de l’Etat et de recettes fiscales (CSG notamment) qui évoluent de façon indépendantes. Toutefois si l’effort de l’Etat est constant en % du PIB, la part des recettes de retraites dans le PIB resterait également constante à taux de cotisation inchangé.

Le tableau suivant décrit l’évolution des ressources et des dépenses ainsi que le solde en % du PIB, dans l’hypothèse d’une croissance de la productivité de 1,3 % par an (qui correspond à la courbe bleue dans le graphique) et d’un effort de l’Etat constant en % du PIB.

En 2021, les recettes et les dépenses sont égales à 13,8 % du PIB. Dans les 5 prochaines années, les dépenses augmenteraient très légèrement à 13,9 % mais les recettes baisseraient à 13,6 % en raison notamment de la baisse programmée des effectifs de la fonction publique et de la diminution de l’effort de l’Etat retenues dans la programmation annuelle des finances publiques. Dans les années suivantes, les recettes restent par hypothèse égales à leur niveau de 2021 dans ce scénario à effort de l’Etat constant, et l’augmentation des dépenses (14,4 % du PB en 2032) entraîne une hausse du déficit qui atteint 0,6 % du PIB. Cette hausse est en grande partie artificielle car le COR retient dans ses travaux un taux de chômage à long terme égal à 7 %, mais se cale pour les 5 premières années sur les prévisions du gouvernement qui supposent que le taux de chômage baisse jusqu’à 5 % en 2027. L’hypothèse conventionnelle d’un taux de chômage de 7 % à partir de 2032 correspond à une croissance qui ralentit fortement sur cette période et explique le creusement du déficit à 0,6%. Si l’on retenait un taux de chômage de 5 % en 2032, la croissance de la période serait plus forte et le déficit ne serait que de 0,3 % (chiffres en rouge dans le tableau). A partir de 2045 le système de retraites devient excédentaire.

Equilibre des retraites dans le scénario à 1,3% de productivité et effort de l’Etat constant.

Certes, les évolutions seraient moins favorables si la croissance de la productivité du travail était plus faible (1 % et à fortiori 0,7 %), mais elle peut être aussi plus favorable si la productivité augmentait de 1,7 % par an. Bref il ressort des travaux du COR que les dépenses de retraites sont clairement maitrisées et qu’il n’est pas nécessaire de faire une réforme paramétrique, même si le rapport de septembre 2022 est moins favorable que celui de 2021.

Dans le mandat précédent, Emmanuel Macron avait écarté l’idée d’une réforme paramétrique. Il s’était engagé dans la campagne de 2017 à faire une réforme systémique pour rendre le système plus souple dans l’esprit des propositions de Bozio-Piketty et de la CFDT d’une retraite par point. Mais le premier ministre Edouard Philippe, héritier des réformes de droite, défendait une réforme paramétrique avec un report de l’âge légal, alors que le président avait promis de le laisser à 62 ans. De leur divergence est née une réforme confuse, tombée aux oubliettes avec la pandémie. Depuis, Emmanuel Macron a abandonné la réforme structurelle et s’est aligné sur les propositions traditionnelles de la droite privilégiant l’âge de départ plutôt que la durée, une proposition qu’il avait fortement condamnée dans son premier mandat.

Reculer l’âge de départ : une profonde injustice

Ce qui est juste en matière de retraite, ce n’est pas l’âge de départ mais la durée de cotisation. Pourquoi un ouvrier ayant commencé à travailler à 15 ans devrait-il partir au même âge qu’un cadre ayant débuté à 25 ? C’est la durée de cotisation et la pénibilité de l’emploi qui doivent être les facteurs déterminants de l’âge effectif de départ à la retraite et non la fixation d’un âge de départ (qui est en fait l’âge à partir duquel on peut faire valoir ses droits à la retraite. Personnellement, j’ai toujours été favorable à l’allongement de la durée de cotisation sans modification de l’âge de départ à 60 ans, parce que c’est la seule façon de laisser a chacun le choix de l’âge effectif de départ à la retraite. C’était la logique de la réforme à laquelle nous avions réfléchi quand Lionel Jospin était premier ministre et de celle que j’ai votée en 2014 lorsqu’elle a été adoptée sous François Hollande.

Quand, dans le mandat précédent, Emmanuel Macron se prétendait encore réformateur et plaidait pour une réforme structurelle, il écartait à juste titre les propositions de la droite d’allonger l’âge de départ. Lors d’une conférence de presse suivant un débat, il déclarait en 2019 : « Quand aujourd’hui on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans. [...] Et alors on va dire “non, non, faut maintenant aller à 64 ans.” [...] Vous savez déjà plus comment faire après 55 ans, les gens vous disent “les emplois, c’est plus bon pour vous” [...] On doit d’abord gagner ce combat avant d’expliquer aux gens “mes bons amis, travaillez plus longtemps.”».

Or l’objectif de la réforme actuelle est de faire 15 à 20 milliards d’économies par an d’ici 2030, pour financer d’autres priorités que les retraites et notamment les baisses d’impôts promises par le gouvernement. Or, comme le rappelle Thomas Piketty, ces mesures seront financées principalement par nos concitoyens les plus modestes. En effet, une personne née en 1961 qui aura donc 62 ans en 2023 devra déjà attendre plus de 65 ans pour avoir 42 annuités si elle a fait des études de niveau master et a commencé à travailler à 23 ans. Elle ne sera donc pas concernée par la réforme. Les seuls salariés pénalisés par la réforme seront les salariés modestes qui ont commencé plus tôt.

L’argument de porter la retraite minimale à 1200€ en contrepartie de cette réforme est un faux argument. D’abord, il n’y a nullement besoin d’une nouvelle loi pour la porter à 1200 €, c’est-à-dire 85 % du SMIC, puisque cet objectif est déjà dans la loi depuis la réforme de 2003. Ensuite , l’application de cette mesure doit relever de la solidarité nationale, c’est-à-dire du budget de l’Etat. Elle devrait même être financée par un impôt dépendant de la capacité contributive de chacun, comme l’impôt sur le revenu ou l’ISF qu’Emmanuel Macron a supprimé. Or, financer cette mesure par un allongement de l’âge de départ qui pèse principalement sur les plus modestes est tout simplement scandaleux.

Porter l’âge de départ à 65 ans ou 64 ans est donc profondément injuste et n’a pas de justification financière. En sens contraire, bouleverser le système en revenant de 62 à 60 ans n’a guère d’intérêt si l‘on prend correctement en compte la pénibilité comme cela avait été prévu par la réforme de la gauche. Il n’est pas non plus nécessaire aujourd’hui de prolonger l’augmentation de la durée de cotisation au-delà de ce qui a été voté dans la réforme de 2014.

Niveau de vie comparé des retraités et des actifs

La contrepartie de la stabilité des dépenses de retraite résultant de la désindexation des pensions sur les salaires est que le niveauu de vie moyen des retraités relativement aux actifs, qui avait fortement augmenté dans le passé, baissera dans le futur et retrouvera son niveau des années 70-80, qui est aussi celui de la plupart de nos voisins.

Car la France est en effet le seul des pays étudiés par le COR où le niveau de vie des plus de 65 ans est supérieur à celui de l’ensemble de la population (cf graphique). Pour ma part, je ne suis pas convaincu qu’une situation où le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs soit satisfaisante, c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais été favorable à une hausse des cotisations pour équilibrer le régime des retraites. Mais c’est un choix de société qu’il importe de prendre en compte au moment où l’on débat de la réforme des retraites.

Conclusion

En conclusion, cette réforme n’est pas nécessaire et est profondément injuste, car elle ne va toucher que les salariés qui ont commencé tôt, font souvent les travaux les plus pénibles et sont les plus modestes.

La seule réforme qui avait vraiment un sens était la réforme systémique portée depuis plus de 15 ans par la CFDT, car elle conjuguait la liberté de choix de l’âge de départ à la retraite avec la solidarité. Mais nous en sommes loin et Emmanuel Macron, qui compte aujourd’hui sur les voix de droite pour faire passer sa réforme, aura montré une fois de plus le vrai visage de sa politique : une politique profondément injuste.

Le mouvement social qui est aujourd’hui unitaire et dispose d’un très fort soutien de l’opinion arrivera-t-il, comme cela s’est produit sous le gouvernement Juppé en 1994, à faire changer d’avis le gouvernement ?