« En 1981, la gauche ne pouvait pas revenir au pouvoir sans appliquer un programme ambitieux »
Le 18/06/2022
Pierre-Alain Muet
Economiste, ancien député
La gauche qui arrive à l’Elysée en 1981 voulait « changer la vie ». Son programme était bien loin de se résumer à une relance conjoncturelle, comme on le présente encore aujourd’hui. Son objectif était réellement de transformer la société, en accordant plus de place aux loisirs par la réduction du temps de travail et la retraite à 60 ans. La croissance devait autofinancer les avancées sociales. L’Etat devait jouer un rôle économique important grâce aux nationalisations, à la création d’emplois publics et au développement d’un capitalisme d’Etat qui devait servir à bâtir les fondements de la compétitivité de l’économie française.
Mais, voulant tout faire trop vite, le gouvernement a dû changer de cap. Lorsque Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry accèdent au pouvoir en 1997, ils gardent en mémoire ce qui s’est passé au début du premier septennat de François Mitterrand, dont ils ont étudié de très près la politique économique. Leur but ? Mettre en place leur programme mais sans « pause, ni recul, ni reniement », dira Lionel Jospin lors de son discours de politique générale.
Pierre-Alain Muet était économiste à l’OFCE au moment de l’élection de François Mitterrand, il en a été l’un des observateurs clés (voir son livre sur le sujet paru en 1985). Puis, en tant que conseiller économique du Premier ministre Lionel Jospin, il a été au cœur du pouvoir socialiste. Avant de devenir député PS et de rejoindre les frondeurs contre le changement de politique économique de François Hollande. Dans cet entretien, il revient sur la dimension économique de la gauche au pouvoir.
Dans la principauté éclairée de Wiseland, le Prince qui avait lu les philosophes, voulait créer une protection sociale universelle consistant en un revenu de 600 écus versé à tout le monde. Il voulait le financer, soit par une extension de l’impôt sur le revenu déjà existant, soit par un nouvel impôt qui financerait exclusivement ce revenu universel. Son ministre des finances lui ayant objecté le coût excessif de cette proposition il fit appel à Zadig, qui conseilla en d’autres temps le roi de Babylone, pour lui demander de l’aide.
Le Prince : Mon cher Zadig, vous qui avez réglé la dispute entre les adeptes du temple, peut-être pourrez-vous m’aider à résoudre le conflit entre mon Ministre des affaires sociales et mon Ministre des finances au sujet de la mise en place de mon projet de revenu universel.
La proposition de mon Ministre des affaires sociales est de verser tous les mois à tous les citoyens de la principauté un chèque de 600 écus. Ce revenu universel serait financé par un nouvel impôt recouvré par le Ministère des finances. Mais mon Ministre des finances me dit que cela augmenterait de plusieurs centaines de milliards d’écus les dépenses et les recettes du royaume et rendrait notre principauté peu respectable au regard des banquiers des royaumes d’Europe.
Zadig : Mon Prince, puisque votre revenu est universel, il n’est pas nécessaire que ce soit votre Ministère des affaires sociales qui le verse. Le Ministère des affaires sociales est parfaitement compétent pour verser des allocations sous condition de ressources comme le sont la plupart de vos allocations où il faut prendre en compte différents critères personnels (logement, revenu fiscal de référence, composition de la famille...), avant de les attribuer. Mais puisque votre revenu est universel et ne dépend d’aucun critère, il peut être immédiatement versé à tous vos concitoyens par votre Ministère des finances.
Le Prince : Mais, Zadig, vous oubliez une chose. En m’inspirant d’autres royaumes européens, j’ai décidé de simplifier notre impôt sur le revenu qui est maintenant prélevé à la source. Je vais donc reverser à tous ceux qui payent déjà l’impôt sur le revenu un chèque de 600 écus, alors que j’ai supprimé dans l’autre sens le paiement par chèque de l’impôt sur le revenu ?
Zadig : Au contraire, mon Prince, c’est une excellente nouvelle ! J’avais souvenir que vous étiez la dernière principauté d’Europe à ne pas prélever l’impôt à la source, mais j’ignorais que ce n’était plus le cas. Cela change tout : plutôt que de faire un prélèvement et un versement tous les mois au même contribuable, vous allez simplifier énormément les choses. Vous allez faire les deux en même temps sans rien changer à votre projet initial de revenu universel.
Le Prince : Comment sans rien changer ?
Zadig : Puisque c’est le Ministère des finances qui prélève l’impôt et versera le revenu universel, il versera à chacun le revenu universel diminué de l’impôt sur tous les autres revenus. Pour ceux qui n’ont pas d’autres revenus, ce sera un versement de 600 écus. Pour les autres, le Ministère des finances leur versera ou leur prélèvera la différence entre le revenu universel de 600 euros et la nouvelle imposition du revenu.
Ci-joint, mon interview sur le prélèvement à la source par Françis Brochet, publié dans les journaux régionaux de l’Est de la France.
Le prélèvement à la source est une bonne chose ?
Il fallait le faire. Cela permet de tenir compte des changements de situation du contribuable, c’est un éléments de justice fiscale et de compréhension de l’impôt. La France restait l’un des seuls pays au monde à prélever l’impôt sur le revenu de l’année précédente.
C’est compliqué à mettre en oeuvre ?
Oui à cause des cas particuliers.. Et Bercy a malheureusement fait le choix d’un système archaïque, qui est d’appliquer le dernier taux d’imposition connu. Alors que la déclaration sociale nominative (DSN) des entreprises, qui transmet à l’administration fiscale le revenu de chaque personne et de chaque foyer avec un mois de décalage, aurait permis de prélever avec le taux quasiment instantané.
Le prélèvement à la source est une vraie révolution ?
C’est la mère des réformes ! c’est son absence qui a fait de la CSG le premier impôt sur le revenu, qui a conduit à créer le RSA et la prime d’activité, qui a encouragé la multiplication des niches fiscales. Le prélèvement à la source doit aboutir à plus de simplicité et de justice fiscale.
Quelle leçon tirez-vous du mouvement des gilets jaunes, né contre les taxes sur les carburants ?
Le vrai thème, c’est la justice fiscale. Les mesures prises par le président de la république dès son élection, notamment la quasi-suppression de l’impôt sur la fortune, ont été perçues comme une injustice, exonérant les riches de l’impôt ou presque, alors que les ménages modestes supportaient tous les nouveaux prélèvements.
L’urgence est de redonner du revenu aux Français les plus modestes et répondre à la demande de justice fiscale. La meilleure manière est d’intégrer le RSA et la prime d’activité à l’impôt sur le revenu. Tout le monde paierait l’impôt sur le revenu au premier euro. Cela baisserait l’ensemble de l’imposition des revenus des salariés les plus modestes, et permettrait le versement automatique de la prime d’activité et du RSA comme un revenu universel, sans stigmatisation.
Propos recueillis par Francis Brochet
Publié dans Aternatives économiques, décembre 2018
En réalité, même s’il commence son livre par une critique de la politique du gouvernement Macron et par les désillusions du quinquennat Hollande, élu avec des promesses de réforme fiscale vite abandonnées du fait d’une dérive de la social-démocratie au social-libéralisme, l’auteur nous conte principalement l’histoire détaillée des vices et vertus de l’impôt sur le revenu, qu’il soit progressif ou non (CSG).
Justice fiscale
C’est une histoire passionnante que raconte Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin et député dans la précédente législature, où l’on voit, depuis la Révolution française, gauche et droite batailler. L’impôt est juste s’il est "équitable (en fonction des ressources de chacun), (...) compréhensible et prélevé de façon simple". Ce qui, selon lui, implique une retenue à la source, mère de toutes les réformes, et la possibilité de choisir entre prélèvement familial ou individualisé, selon un projet que, dès 1947, la CGT avait présenté.
Il plaide donc pour un revenu universel, sous la forme d’un impôt négatif : tous les revenus d’activité ou de remplacement sont taxés à la CSG et à l’impôt sur le revenu dès le premier euro, mais, en contrepartie, le montant dû au fisc est compensé par un revenu universel de 550 ou 600 euros mensuels. Pour ceux dont l’impôt est moindre que le revenu universel, le fisc verse la différence, et il le prélève à la source si l’impôt dû est supérieur au revenu universel. Pour l’auteur, l’ajustement doit être mensuel et instantané (ce qui est possible grâce à la déclaration sociale nominative). Il estime aussi, mais sans entrer dans le détail, que les allocations familiales devraient être versées (ou déduites de l’impôt dû) en même temps, et sans distinction du rang et du revenu des parents.
Limites
Le projet (proche de celui des propositions défendues par Benoît Hamon) est séduisant et conforme aux critères de justice fiscale. Mais le diable est toujours dans les détails : quid des travailleurs indépendants et des migrants sans ressources (actuellement, il faut cinq ans de résidence pour être éligible au RSA) ? En outre, même si l’auteur affirme que ce projet n’implique pas de surcoût par rapport à la situation actuelle, aucun chiffrage n’est proposé pour le vérifier. Un livre instructif et imaginatif qui, espérons-le, pourra nourrir un grand débat citoyen, malgré sa technicité par moments.
Denis Clerc
A un moment où la question fiscale et le consentement à l’impôt sont au cœur de l’actualité, j’aurai plaisir à vous retrouver pour une rencontre-débat sur l’impôt, ses origines, son histoire et ses possibilités d’évolution.
Le jeudi 29 novembre à 19 h à la librairie Passages, 11 rue de Brest, Lyon 2ème
En Angleterre, en France et aux Etats-Unis, la naissance et le développement des Parlements ont été étroitement lié à la nécessité d’obtenir le consentement des contribuables pour lever l’impôt personnel. Les révolutions française et américaine réaliseront en quelques années, et même en quelques mois, ce que 5 siècles d’évolutions résultant des conflits entre la monarchie et le Parlement ont construit progressivement en Angleterre.
Pourtant la nécessité de lever l’impôt avait abouti très tôt à la création de « Parlements » : en 1215 en Angleterre, avec la création du grand Conseil (qui deviendra Parlement) et en 1302 en France, avec la création des Etats généraux par Philippe le Bel. Mais en acceptant en 1435 la création d’impôts permanents pour financer une armée permanente, les Etats généraux se dessaisiront de leur pouvoir et ne seront plus convoqués par le roi de France. Et l’absolutisme tant admiré par les autres souverains européens se fracassera 3 siècles plus tard sur la nécessité de convoquer les Etats généraux en 1789 pour faire face à la faillite des finances publiques.
C’est une toute autre histoire qui se déroula en Angleterre. En s’opposant parfois de façon violente à la volonté royale de lever des impôts sans son accord, et en obligeant le roi à recourir tous les ans au vote de l’impôt, le Parlement anglais s’emparera progressivement du pouvoir, étendant ses prérogatives aux lois en général et jetant les bases d’une démocratie moderne.
En quelques mois la révolution française construira les institutions d’une démocratie moderne et le consentement à l’impôt sera consacré par les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est cette histoire que nous détaillons dans la suite de cette note extraite du chapitre 4 du livre Un impôt juste, c’est possible !
Cette note constitue la version longue d’un article publié dans Alternatives Economiques
La première loi de finance d’un quinquennat a toujours un caractère particulier : elle est en général la traduction des engagements du Président nouvellement élu et colore la suite du quinquennat. Le paquet fiscal de l’été 2007 et le premier budget de Nicolas Sarkozy illustraient l’économie du ruissellement, multipliant les cadeaux fiscaux aux plus fortunés, jusqu’à ce que cette politique s’écrase sur le mur de la crise. Le budget de François Hollande pour 2013 introduisait certains éléments de justice du programme du candidat, mais la frénésie fiscale de Jérôme Cahuzac, multipliant les prélèvements pour boucler un budget censé respecter la règle des 3 %, aboutit au « ras-le bol-fiscal » conduisant le Président Hollande à abandonner toute réforme significative de l’impôt sur le revenu. Le Projet de Loi de Finances pour 2018 reprend les principales propositions du candidat Macron en étalant certaines mesures pour respecter la contrainte budgétaire. Le résultat est un budget pour 2018 qui a un parfum de 2007 : les grands gagnants sont clairement les plus fortunés de nos concitoyens et même la petite minorité des plus grandes fortunes de France.
A l’occasion des 20 ans du Conseil d’Analyse économique, le CAE a organisé un débat sur le thème « les économistes dans la cité » et publié sous le même titre une note traitant des relations entre les économistes universitaires, le monde de la décision publique et celui des médias... Ce fut l’occasion pour moi de réagir sur les propositions de la note et d’évoquer les idées qui ont conduit à la création du CAE, dès les premiers jours du gouvernement de Lionel Jospin.
J’ai notamment insisté sur l’importance du pluralisme des idées et des opinions, car ce que les politiques attendent, ce n’est pas des propositions clefs en main, mais un éclairage sur les différents points de vue et les différentes options possibles.
Dans la suite, le texte de mon intervention :
Retrouvez ci-dessous mon article paru dans Alternatives Economiques du 25 juin: :
La réforme fiscale oubliée... pour longtemps
Pierre-Alain Muet, économiste, ancien député
A un moment où le mot « réforme structurelle » est devenu l’alpha et l’oméga du discours politique, il est une vraie réforme structurelle, oubliée en chemin qui était pourtant au coeur de la campagne de François Hollande : celle de l’imposition des revenus. Après un effort de cohérence la première année, malheureusement occulté par une accumulation de prélèvements, les 4 années suivantes reproduisirent les bricolages qui avaient caractérisé les précédents quinquennats : suppression de la première tranche entrainant une entrée brutale dans l’IR et rétrécissant encore plus l’impôt progressif, créations de nouvelles niches fiscales et réforme structurelle - le prélèvement à la source - renvoyée une fois de plus à la mandature suivante. Quant au programme fiscal du nouveau président de la république Emmanuel Macron, il s’inscrit malheureusement dans la droite ligne des bricolages de son prédécesseur, ce qui n’est guère étonnant quand on se souvient qu’il en fut en partie l’inspirateur.
Les ministres de Bercy présentaient ce mercredi 12 avril en Commission des Finances le programme de stabilité que le gouvernement transmet à la commission pour la période 2017-2020. Construit par principe sur le respect des règles budgétaires européennes qui imposent la poursuite d'une politique d'austérité jusqu'au retour à l'équilibre structurel des comptes publics, ce programme de stabilité montre au contraire l'absurdité de cette règle d'équilibre budgétaire et la pertinence d'une autre politique.
Une règle budgétaire qui perpétue pendant 5 ans la sous-utilisation des capacités de production et le déficit de demande
Alors que notre économie est clairement dans une situation d'insuffisance de la demande et de sous-utilisation des capacités de production en 2017, ce que traduit l'écart de 3 % à la production potentielle (output gap) retenu par le ministère des finances, la poursuite d'une politique d'austérité maintient ce déséquilibre pratiquement au même niveau jusqu'en 2020.
Comme le souligne le Haut Conseil des Finances publiques, « un écart de production négatif sur une période de plus de 12 ans manque de cohérence... une sous-utilisation aussi durable des facteurs de production ne s'accorde pas avec l'accélération de l'investissement et de l'inflation retenue dans le scénario du gouvernement».
Le scénario gouvernemental décrit une croissance de 1,6 % par an, une inflation qui reste faible, un déficit structurel qui s'annule en fin de période, mais un déficit conjoncturel qui ne baisse pas et une dette qui se réduit peu (elle passe de 96 % du PIB en 2017 à 93,1 % en 2020).
Bref, comme je l'exprime dans mon intervention (vidéo ci-dessous), cette situation appelle un relâchement de la contrainte budgétaire qui réduise le déséquilibre entre l'offre et la demande, accentue la croissance et les créations d'emploi au prix d'une augmentation transitoire du déficit. C'est ce que propose Benoît Hamon dans son programme économique.