Interview dans Libération, lundi 28 avril 2008
Inflation, chômage, pouvoir d'achat... Le décalage entre la perception de la réalité économique par les salariés consommateurs et son évaluation statistique par l'Insee semble n'avoir jamais été aussi grand. Président de la mission parlementaire sur la mesure des grandes données économiques et sociales, l'économiste et député socialiste, Pierre-Alain MUET, livre son diagnostic.
Propos recueillis par GRÉGOIRE BISEAU et GUILLAUME DUVAL
Voir le débat sur http://www.libelabo.fr/
En refusant en juillet 2007 de donner un coup de pouce au smic et de revaloriser la prime pour l'emploi au moment où il distribuait 14 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux plus fortunés de nos concitoyens, Nicolas Sarkozy a jeté l'une des bases du profond mécontentement qu'il recueille aujourd'hui. Pour celui qui s'autoproclamait le président du pouvoir d'achat et de la revalorisation du travail, cette première décision économique fut non seulement une erreur politique et une profonde injustice ; ce fut aussi dans le contexte conjoncturel actuel une erreur économique majeure.
Car, avec une forte accélération de l'inflation depuis l'été 2007, ce sont les salariés les plus modestes qui sont les plus touchés par l'amputation de leur pouvoir d'achat. Et aucun des arguments traditionnellement avancés pour critiquer le smic ne tient la route dans le contexte français. Ni l’écrasement de la hiérarchie des salaires, ni l’affaiblissement de la négociation collective, ni son impact sur l’emploi…
Vous trouverez ci joint la suite de l'article que j'ai publié sur ce thème avec Harlem Désir dans le Monde daté du 4 avril 2008
Vous trouverez ci joint et ci dessous mon intervention sur ce thème dans l'édition de ce lundi du quotidien La Tribune en parallèle avec le point de vue de Nicolas Bouzou.
Non " La question ne se pose plus, la rigueur est déjà là "
Nous sommes en plein dans le scénario "noir", présenté l'été dernier par le rapporteur général de la loi de finances, et qui indiquait que si la croissance ne dépassait pas les 2 % en 2007 et 2008, le déficit des finances publiques pourrait s'élever à 3,1 % du PIB en 2008. Nous sommes clairement aujourd'hui dans cette trajectoire. Trois options s'offrent donc au gouvernement : réduire fortement les dépenses, augmenter les impôts ou laisser filer les déficits. Il est cependant difficile d'imaginer que la France présente des déficits excessifs, supérieurs au seuil autorisé par le Pacte de stabilité, au moment où elle doit assumer la présidence de l'Union européenne.
De toute façon, la question de la rigueur ne se pose plus, elle est déjà là ! Quand le Premier ministre annonce son intention d'annuler 7 milliards d'euros de crédits mis en réserve, cela revient dans les faits à amputer le budget d'autant. Cette mesure ne suffira évidemment pas et le gouvernement se prépare à des décisions autrement plus douloureuses pour les ménages.
Nous risquons même de connaître à la fois une réduction des dépenses, une augmentation des prélèvements obligatoires et une dérive des déficits. Il est notamment à craindre que les mesures sociales — comme les emplois aidés, le logement social ou même le projet de revenu de solidarité active — soient gelées ou annulées. De même, le gouvernement aura bien du mal à tenir son engagement de revalorisation des petites retraites.
Après avoir gaspillé inutilement près de 15 milliards d'euros l'an dernier avec la loi Tepa, le gouvernement n'a tout simplement plus de marge de manoeuvre pour échapper à l'austérité.
Nous voyons une fois de plus aujourd'hui, avec la situation de Landry Koua, les effets désastreux et l'absurdité d'une politique gouvernementale qui se fixe comme objectifs des quotas d'expulsion.
Landry Koua, élève en BTS au Lycée la Martinière Duchère, a été reconduit en Côte d'Ivoire, où il n'a plus aucune attache familiale, avec l'engagement de lui permettre de revenir poursuivre ses études en France. Cette décision a été prise, malgré la forte mobilisation des élèves, des professeurs, des parents d'élèves et de nombreuses interventions - dont pas moins de 3 échanges de ma part avec le préfet -, et alors même que la préfecture reconnaissait le bien fondé d'une régularisation (Landry était admis en 2ème année de BTS et devait commencer son stage le lendemain de son expulsion).
Arrivé à Abidjan personne au consulat n'était informé de sa situation, contrairement à ce que laissait entendre le communiqué publié par la préfecture la veille de son expulsion. Il a fallu de nouvelles interventions auprès du Consul Général pour que le consulat s'informe auprès de la préfecture du Rhône et que Landry puisse commencer les démarches pour revenir.
Une situation malheureusement digne d'un roman de Kafka, pour reprendre l'expression d'Olivier Bertrand : http://www.libelyon.fr/
Comme je l'ai dit aux élèves de la Martinière qui participaient à un parrainage républicain organisé par la mairie du 9ème arrondissement le vendredi 23 mai, il faut rester mobilisés, car ce que nous défendons à travers le parrainage d'enfants ou la mobilisation pour Landry, c'est en fait les valeurs de notre république.
Ces jours-ci, le gouvernement tente encore de vous déborder à gauche en suggérant une meilleure répartition des profits des entreprises entre le capital et le travail. Comment réagissez-vous ?
Pierre-Alain Muet : Il faut un certain culot pour évoquer comme le fait Xavier Bertrand un partage du revenu national plus favorable aux salariés quand le gouvernement a dépensé 15 milliards d’euros cet été dans le paquet fiscal pour favoriser la rente, l’héritage et les revenus du capital. D’autant que dans le même temps, il ignorait les salariés modestes et les chômeurs dont le pouvoir d’achat a baissé et programmait pour 2008 une baisse du pourvoir d’achat des retraités.
L’entourage de Christine Lagarde évalue l’impact des mesures prises en faveur du pouvoir d’achat depuis l’été entre 30 et 35 milliards d’euros. Qu’en pensez-vous ?
Est-ce un chiffrage de Bercy ou de l’UMP ? Comment vérifier de tels chiffres, qui me paraissent bidons ou, au mieux, pifométriques, alors que le nouveau projet de loi comme le « paquet fiscal » de cet été n’ont été accompagnés d’aucune étude d’impact ? Nous venons de débattre au Parlement, pendant deux mois, d’un projet de loi de Finances vidé de son contenu puisque toutes les mesures importantes de politique économique ont été prises avant ou après lui. Sur le plan de la méthode, c’est profondément choquant. C’est un très mauvais fonctionnement de la démocratie.
Et sur le fond ?
Aucun milliard d’euros ne sera vraiment réinjecté dans l’économie. La prime défiscalisée de 1.000 euros ou le rachat des jours de RTT ne vont que se substituer aux augmentations de salaires. L’indexation des loyers sur l’inflation est certes positive –nous l’avions demandé- mais ce n’est qu’une petite mesure face au problème du pouvoir d’achat. Il n’y a rien pour les retraités, rien pour les salariés à temps partiel et rien pour les chômeurs. Les ménages ont le sentiment de mesures arbitraire et injustes, ce qui accroît leur inquiétude. Les 15 milliards d’euros du « paquet fiscal », n’ont créé ni choc de confiance –elle s’est au contraire effondrée -, ni choc de croissance – elle est plus faible que prévue.
L’économie française souffre de trois problèmes : l’emploi, le pouvoir d’achat et la compétitivité. Aucune mesure du budget pour 2008 ne répond à ces trois problèmes. Vous trouverez ci-joint mon interview dans le numéro de novembre d’Alternatives économiques.